54.
Il y avait un homme nommé Eugène, qui avait été élevé à la cour, et qui était d’un si grand mérite dans les lettres, qu’il enseignait l’éloquence. Rihomer qui avait une estime singulière de sa politesse et de son talent, se recommanda à Arbogaste, et le supplia de l’honorer de sa protection, l’assurant qu’il trouverait en sa personne un serviteur fort affectionné et fort utile. Rihomer étant depuis allé trouver Théodose, et s’étant établi en Orient, Arbogaste et Eugène contractèrent une étroite familiarité par de fréquentes conversations; Arbogaste n’avait point de secret pour lui, ni d’affaires qu’il ne lui communiquât. Jugeant donc alors que l’éminence de sa doctrine, la pureté de ses mœurs, et ses autres excellentes qualités, le rendaient digne de la souveraine puissance, il lui découvrit le dessein qu’il avait de la lui mettre entre les mains. Eugène ayant refusé ses offres avec quelque émotion, Arbogaste usa de tant de caresses pour l’apaiser, et de tant de raisons pour le porter à accepter un présent si précieux que la fortune lui voulait faire, qu’il obtint enfin son consentement. Quand il l’eut, il crut qu’avant d’entreprendre de l’élever sur le trône, il devait se défaire de Valentinien. Etant donc allé à Vienne dans les Gaules, il le trouve qui se divertissait avec des gens de guerre, le long des murailles, se jette sur lui, le blesse, et le tue.
Personne n’ayant osé se plaindre d’une exécution si hardie, par le respect qu’on avait pour la dignité et pour le mérite d’Arbogaste, et par la vénération que les gens de guerre avaient pour l’inclination généreuse qui l’avait toujours mis si fort au dessus de l’intérêt, il proclama Eugène empereur, et assura que ses vertus donnaient lieu d’attendre de lui un heureux gouvernement.