1.
Arcadius et Honorius demeurèrent, par la mort de Théodose, seuls possesseurs de la souveraine puissance; mais ils n’en retinrent que le nom, et en laissèrent tout l’effet en Orient à Rufin, en Occident à Stilicon, qui terminaient les différends, des particuliers par une autorité si absolue, que quiconque était assez riche pour acheter leur suffrage, ou assez heureux pour s’insinuer dans leurs bonnes grâces, ne manquait jamais de gagner sa cause. Les grandes terres dont on croit que la possession rend les hommes heureux, tombaient dans leurs familles, soit qu’on les leur abandonnât pour avoir leur protection, et pour se garantir d’une accusation calomnieuse, ou qu’on les leur vendit pour acheter une charge, ou pour entrer dans quelqu’un de ces partis qui ne tendent qu’à la ruine des villes. Toutes les richesses de l’empire venaient s’entasser dans leurs maisons, et celles qui avaient été les plus riches tombaient dans une honteuse pauvreté, par un renversement de tout ordre et par la corruption des mœurs. Les empereurs ne s’apercevaient point de ces désordres, et ils tenaient les moindres paroles de ces deux officiers comme une loi non écrite. Rufin ayant amassé des biens immenses, fut capable d’une si étrange extravagance que d’aspirer à l’empire en donnant sa fille en mariage à l’empereur. Il lui en fit parler par quelques officiers, dans la pensée que l’affaire était fort secrète, bien qu’elle fût déjà répandue parmi le peuple. L’excès de son orgueil, qui avait excité contre lui la haine publique, avait aussi donné quelque soupçon de cette prétention ambitieuse. Il se porta à une entreprise fort hardie, comme s’il eût eu dessein d’effacer des défauts médiocres par des crimes extraordinaires.
