XL.
Je ne m'étonne pas qu'on emprunte aux épîtres de l'Apôtre lui-même des arguments, puisqu'il « faut qu'il y ait des hérésies, » et qu'il ne pourrait yen avoir, si les Ecritures ne pouvaient être faussement interprétées. Les hérésies, trouvant dans l'Apôtre deux hommes, l'un intérieur, c'est-à-dire l'âme, l'autre extérieur, c'est-à-dire la chair, attribuèrent le salut à l'âme, qui est cet homme intérieur, et la destruction à la chair, qui est cet homme extérieur, parce qu'il a été écrit aux Corinthiens: « Quoique dans nous l'homme extérieur se détruise, » l'homme intérieur se renouvelle de jour en jour. » Or, ce n'est pas l'âme qui par elle-même est l'homme, puisqu'elle a été communiquée après coup à cet argile qui portait déjà le nom d'homme. La chair sans l'âme n'est pas davantage l'homme, puisqu'après le départ de l'âme il |496 ne lui reste que le titre de cadavre. Ainsi ce nom d'homme est, pour ainsi parler, la chaîne de deux substances étroitement liées ensemble: tant qu'il subsiste, elles ne peuvent être qu'unies. D'ailleurs, l'Apôtre veut que nous entendions par cet homme intérieur, non pas tant l'âme que l'esprit et le cœur, en d'autres termes, non pas la substance elle-même, mais la saveur de cette substance. Ainsi, quand il écrit aux Ephésiens: «Le Christ habile dans l'homme intérieur, » il a voulu dire que la vie de notre Seigneur doit commencer en nous par les sens. Enfin, il ajoute: « Par la foi dans vos cœurs et par l'amour, » séparant ainsi la foi et la charité de la substance de l'âme pour en faire une de ses conceptions; mais en disant « dans vos cœurs, » dont la substance est de chair, il attribue à la chair l'homme intérieur lui-même, qu'il place dans le cœur. Examine maintenant dans quel sens il a dit « que l'homme intérieur se détruit, tandis que l'homme extérieur se renouvelle de jour en jour. » Ne va pas prétendre qu'il entend par là celle corruption que la chair subira pour toujours, selon loi, depuis le jour de sa mort: il s'agit seulement de ce qu'elle éprouvera dans le cours de celle vie, avant la mort et jusqu'à la mort, par des outrages, des tribulations, des tortures et des supplices pour le nom de Jésus-Christ. C'est ici-bas que se « renouvellera l'homme intérieur » par la protection de l'Esprit, avançant « de jour en jour » dans la foi et la discipline, mais non dans le monde qui suivra la résurrection; car alors nous ne serons pas renouvelés « de jour en jour, » mais une seule fois et pour l'éternité: apprends-le de ce qui suit: « Les afflictions si courtes et si légères de la vie présente produiront pour nous de degré en degré le poids éternel d'une sublime et incomparable gloire. Ainsi, nous ne considérons point les choses visibles, » c'est-à-dire les souffrances, « mais les invisibles, » c'est-à-dire les récompenses; «car les choses visibles sont passagères, mais les invisibles sont éternelles. » En effet, il veut que |497 nous méprisions les tribulations et les outrages qui corrompent l'homme extérieur, attendu qu'ils sont légers et temporaires, préférant les récompenses éternelles, invisibles, et ce poids de gloire qui nous attend en échange des afflictions qui détruisent ici-bas la chair. Tant il est vrai qu'il ne s'agit pas ici de la corruption que les hérétiques assignent à l'homme extérieur, voulant que celui-ci meure sans retour, afin d'anéantir la résurrection. De même encore ailleurs: « Pourvu toutefois, dit-il, que nous souffrions avec lui pour être glorifiés avec lui. Car je crois que les souffrances de la vie présente n'ont aucune proportion avec cette gloire qui doit un jour éclater en nous. » Ici encore il montre que les peines sont au-dessous de leurs récompenses. Or, si c'est par la chair que nous souffrons avec le Christ, comme le propre de la chair est de se détruire par les souffrances, il en résulte qu'elle doit avoir sa part dans les promesses réservées à ces souffrances. Il attribue si bien à la chair la propriété des souffrances, qu'il dit plus haut: «Depuis notre arrivée en Macédoine, nous n'avons eu aucun repos selon la chair. » Ensuite, pour exprimer que l'âme souffrait avec la chair, « nous avons été en hutte à toutes les afflictions, combats au dehors» pour dompter la chair, « frayeurs au dedans » par les angoisses de l'ame. Ainsi, pour donner à cette parole son véritable sens, «l'homme extérieur se corrompt, » non pas en perdant la résurrection, mais en supportant des souffrances qui passent jusqu'à l'homme intérieur. Il faudra donc que ces deux hommes soient glorifiés ensemble, puisqu'ils souffrent ensemble: la communauté des récompenses suit nécessairement la communauté des travaux.