XLV.
Mais nos adversaires, par un autre aveuglement, se brisent une seconde fois à l'écueil des deux hommes, du vieux et du nouveau. L'Apôtre nous avertit « de dépouiller le vieil homme, » ou celui qui se corrompt par les convoitises de la séduction, mais de nous renouveler dans l'intérieur de noire âme, « et de nous revêtir de l'homme nouveau qui est créé à la ressemblance de |505 Dieu dans la justice et le respect pour la vérité. » Ils veulent donc que Paul, en distinguant ici les deux substances, attribue la vieillesse à la chair, la nouveauté à l'âme, en assignant au vieil homme, c'est-à-dire à la chair, une dissolution sans fin. Or si, eu vertu des substances, l'ame ne peut être le nouvel homme, comme venue la seconde, ni la chair le vieil homme, comme vernie la première, car quel temps a pu s'écouler entre la main et le souffle de Dieu? j'oserais dire que, quoique la chair ait précédé de beaucoup l'âme, par le lait même qu'elle a attendu que l'âme vînt la remplir, elle lui a donné la primauté. En effet, toute consommation, toute perfection a beau venir la dernière dans l'ordre des temps, elle tient le premier rang quant à l'effet. Il faut estimer la première une chose sans laquelle ne peuvent être celles qui ont précédé. Si la chair est le vieil homme, quand l'est-elle devenue? Depuis l'origine? Mais Adam fut tout entier homme nouveau: par conséquent rien de ce nouvel homme n'a pu être le vieil homme. D'ailleurs, depuis la bénédiction de la génération, la chair et l'âme sont engendrées ensemble sans distinction de temps. Comme elles sont semées ensemble dans le sein de la femme, ainsi que nous l'avons enseigné dans le Traité de l'Ame, contemporaines de la conception, elles naissent au même moment que ces deux hommes, différents sans doute de substance, mais non différents d'âge, et formant si bien un seul homme, qu'entre eux point de premier. Abrégeons. Nous sommes tout vieil homme, ou tout homme nouveau. Par quel côté pourrions-nous être autre chose? Nous l'ignorons.
Mais l'Apôtre désigne manifestement quel est ce vieil homme. « Dépouillez, dit-il, le vieil homme, selon lequel vous avez vécu autrefois. » Mais il ne veut pas parler de quelque substance vieillie. En effet, il ne nous ordonne pas de dépouiller la chair, mais les choses qu'il a signalées ailleurs comme charnelles; accusant non pas les corps, mais les œuvres ainsi qu'il suit. « Renonçant au mensonge, |506 que chacun de vous parle à son prochain selon la vérité, parce que nous sommes membres les uns des autres. Si vous vous mettez en colère, gardez-vous de pécher. Que le soleil ne se couche point sur votre colère! Ne donnez pas entrée au démon. Que celui qui dérobait ne dérobe plus; mais qu'il travaille plutôt de ses mains à quelque ouvrage bon et utile, pour avoir de quoi donner à ceux qui sont dans l'indigence. Que votre bouche ne profère aucune parole mauvaise, mais que tout ce que vous direz soit propre à nourrir la loi et à communiquer la grâce à ceux qui vous entendent. Ne contristez pas l'Esprit de Dieu, cet Esprit saint par lequel vous avez, été marqués comme d'un sceau pour le jour de la rédemption. Que toute aigreur, tout emportement, toute colère, toute querelle, toute médisance et toute malice soient bannis d'entre vous. Soyez, au contraire, bons et miséricordieux les uns pour les autres, vous pardonnant mutuellement comme Dieu vous a pardonné en Jésus-Christ. »
Pourquoi donc ceux qui prennent la chair pour le vieil homme, ne hâtent-ils pas le moment de leur mort, afin d'aller au-devant du précepte de l'Apôtre, en dépouillant le vieil homme? Quant à nous, qui croyons que toutes les règles de la foi doivent s'exécuter dans la chair, et qui plus est par la chair, qui a une bouche pour proférer les meilleures paroles, une langue pour ne pas blasphémer, un cœur pour ne pas s'irriter, des mains pour travailler et faire l'aumône, nous déclarons que l'homme nouveau et le vieil homme s'appliquent à la différence des actes, et non à celle des substances. Ainsi nous reconnaissons également que le vieil homme, selon sa vie de péché d'autrefois, se corrompt aussi, appelé de ce nom à cause de l'illusion de ses passions, de même que ce vieil homme, à cause de sa vie de péché d'autrefois, et non en vertu de la chair, se corrompt par une mort éternelle. Au reste, le vieil homme, transformé en homme nouveau, demeure |507 sans altération dans sa chair, et toujours le même, parce que ce n'est pas le corps, mais ses dérèglements qu'il a dépouillés.