LII.
Examinons maintenant quel corps doivent reprendre les morts, suivant l'Apôtre. Heureusement il commence par le déclarer, comme si quelqu'un lui adressait celle question: « Insensé, dit-il, ce que vous semez ne prend point vie, s'il ne meurt auparavant. » Qu'on tienne donc pour certain que la chair qui reçoit la vie est la même qui aura éprouvé la mort. Dès-lors ce qui suit deviendra clair. Car il ne faudra rien entendre contre ce |521 que détermine cet exemple. Parce qu'il est écrit ensuite: « Ce que vous semez, ce n'est pas le corps même de la plante qui doit venir que vous semez, » ne va pas croire que le corps qui doit ressusciter soit diffèrent de celui qui est semé par la mort. D'ailleurs tu t'éloignerais de ce que détermine l'exemple. En effet, quand le froment a été semé et dissous dans la terre, ce n'est pas de l'orge qui en sort, mais un grain de forme, d'espèce et de nature semblables à celui qui a été semé. Enfin d'où vient-il, s'il n'est pas le même? La corruption du grain c'est lui-même, puisqu'il renaît de lui-même.
Toutefois l'Apôtre ne déclare-t-il pas comment ce corps qui est semé ne sera pas celui que l'on recueillera un jour, quand il dit: « Mais le grain seulement, par exemple, du blé ou de quelque semence. Et Dieu lui donne un corps tel qu'il lui plaît. » C'est sans doute à ce grain que l'on seine seulement, sejon l'Apôtre. Sans doute, dis-tu. Donc ce grain auquel Dieu donne un corps ne périt pas. Mais comment ne périt-il pas, s'il n'est plus? s'il ne se relève pas? s'il ne se relève pas le même? S'il ne se relève pas, il périt; s'il périt, il ne peut recevoir de Dieu un corps. Cependant il est certain de toute manière qu'il ne périt pas. Pourquoi donc Dieu lui donnera-t-il un corps tel qu'il lui plaît, lorsqu'il a déjà en propre un corps nu, sinon pour qu'il ressuscite n'étant plus nu? Ainsi ce qui s'élève sur le corps du grain y est ajouté; le corps du grain n'est pas anéanti par ce qui s'y ajoute; il est simplement augmenté. En effet, on sème seulement le grain sans le vêtement de son enveloppe, sans le soutien de son épi, sans la protection de ses barbes, sans la grâce de sa lige; mais il se relève avec une abondance pleine d'usure, dans une forme solide, disposé avec ordre, défendu pur su parure et enveloppé de toutes parts. Voilà tout ce qui compose cet autre corps que Dieu lui donnera, par une transformation qui, au lieu de l'anéantir, l'accroît. A chaque semence Dieu assigna son corps, non pas |522 son corps dans le sens de son premier corps, afin que ce corps qu'elle reçoit de Dieu en dehors de celui-là devienne le sien.
Attache-toi à cet exemple et garde-le comme une image de ce qui se passe dans la chair, en croyant que la même chair qui a été semée germera de nouveau, la même quoique plus parfaite, semblable, quoique sous une autre forme; car elle recevra de Dieu la vigueur et l'ornement dont il lui plaira de la revêtir suivant ses mérites. Sans doute, c'est ce qu'il a voulu marquer quand il dit: « Toute chair n'est pas la même chair; » non pas qu'il nie la communauté de la substance, mais l'égalité de la prérogative, assignant au corps une différence de gloire et non de nature. Voilà pourquoi encore il ajoute dans un sens ligure des exemples d'animaux et d'éléments: « Autre est la chair de l'homme, » c'est-à-dire d'un serviteur de Dieu qui est l'homme véritable; « autre la chair de l'animal, » c'est-à-dire du païen dont le prophète a dit: « L'homme s'est rendu semblable a la brute dépourvue de raison; » autre la chair des oiseaux, c'est-à-dire des martyrs, qui prennent un vol plus élevé; « autre la chair des poissons, » c'est-à-dire de ceux auxquels suffit l'eau du baptême. De même il emprunte ses preuves aux corps célestes: « Autre est la beauté des corps célestes, » c'est-à-dire de Jésus-Christ; « autre la beauté de la lune, » c'est-à-dire de l'Eglise; « autre celle des étoiles, » c'est-à-dire de la postérité d'Abraham. « En effet, entre les étoiles l'une est plus éclatante que l'autre; il y a des corps terrestres et des corps célestes, » c'est-à-dire le juif et le chrétien. Si ce langage n'est pas figuré, c'est avec peu de sagesse qu'il a opposé aux corps des hommes les bêles de somme, les chiens et « les corps célestes, » qui ne peuvent pas plus se comparer sous le rapport de la nature que par l'espérance de la résurrection.
Enfin, après avoir montré par les figures la distinction de la gloire, mais non de la substance, « il en va de même |523 de la résurrection des morts, » dit-il. Comment cela? Il n'établit la différence sur aucun autre point que sur la gloire. Car attribuant une seconde fois la résurrection à la même substance et revenant sur la comparaison du froment: « Le corps est semé dans la corruption, il ressuscitera incorruptible; il est semé dans l'ignominie, il ressuscitera dans la gloire; il est semé dans la faiblesse, il ressuscitera dans la force; il est semé corps animal, il ressuscitera corps spirituel. » Assurément, ce qui ressuscite, c'est ce qui est semé; ce qui a été semé, c'est ce qui se dissout dans la terre; ce qui se dissout dans la terre, c'est cette chair que Dieu a brisée par sa sentence: a Tu « es terre, et tu retourneras dans la terre, » parce qu'elle avait été tirée de la terre. De là vient que l'Apôtre dit qu'elle est semée quand on la rend à la terre, parce que la terre est un lieu de séquestre pour les semences déposées dans son sein et redemandées à son sein. Voilà pourquoi l'Apôtre confirme de nouveau celle vérité, en ajoutant: « Ainsi est-il écrit, » de peur que tu ne croies qu'être semé soit autre chose que, « tu retourneras dans la terre dont tu as été formé, » de même que ce qui est en terre soit autre chose que la chair; car ainsi est-il écrit.