XXIV.
Mais qu'est-il besoin, puisque vous savez tout ce qu'il est possible de savoir, de vous citer les sentiments des poètes et les autres opinions? ne puis-je pas dire en deux mots : Si les philosophes et les poètes ne reconnaissaient point un seul Dieu, ils n'aviliraient pas les autres dieux jusqu'à dire qu'ils sont ou des démons, ou la matière, ou des hommes, et vous auriez un motif de nous persécuter : nous mettons une grande différence entre Dieu et la matière entre la nature de l'un et la nature de l'autre; car nous disons que Dieu, son Fils et le Saint-Esprit, ne sont, à raison de la vertu qui les unit, qu'un seul Dieu père, Fils et Saint Esprit, parce que le Fils est la pensée, le verbe et la sagesse du Père, et que le Saint-Esprit n'est qu'un écoulement de l'un et de l'autre, comme la lumière vient du feu; de même nous savons qu'il existe d'autres puissances qui exercent leur empire autour de la matière et à l'aide de la matière, et qu'une de ces puissances est ennemie de Dieu : ce n'est pas qu'elle soit contraire à Dieu, comme la discorde l'est à l'union, selon Empédocle, ou la nuit au jour, ainsi que nous le voyons de nos yeux (car tout ce qui s'opposerait directement à Dieu serait à l'instant réduit au néant par la vertu et la toute-puissance de Dieu même) ; mais cette force dont nous parlons s'oppose au bien qui est de l'essence de Dieu, et ne fait qu'un avec lui, comme la couleur existe nécessairement avec le corps (non qu'elle soit une partie de lui-même, mais parce qu'elle en est une propriété essentielle et inhérente, comme le rouge est inhérent au feu et l'azur à l'air). C'est en| ce sens qu'il est contraire au bien, cet esprit répandu autour de la matière et sorti des mains de Dieu, comme les autres anges, pour veiller sur la matière et ses différentes espèces; c'est à cette fin que Dieu avait créé les anges, dans le gouvernement du monde : sa Providence embrassait tout l'ensemble, et les anges s'occupaient de chacune des parties qui leur était assignée.
Les hommes jouissent du libre arbitre pour embrasser le vice ou la vertu ( car vous ne récompenseriez pas les bons, vous ne puniriez pas les méchants, si le vice et la vertu n'étaient pas en leur pouvoir ; et parmi les hommes que vous employez, les uns sont probes et les autres infidèles). Il en est de même des anges : les uns usèrent bien de leur liberté, ils ne s'écartèrent point des devoirs qui leur avaient été prescrits et pour lesquels ils avaient été créés ; d'autres, au contraire, abusèrent de cette même liberté qui tenait à leur nature, et de l'emploi que Dieu leur avait confié. Tels furent Satan, préposé à tout le monde matériel, et ceux des anges qui devaient l'aider dans cet emploi (vous le savez, nous n'avançons rien sans preuve, et nous ne faisons qu'exposer ce qu'ont publié les prophètes) : ces anges prévaricateurs, vaincus par l'attrait de la chair, conçurent de l'amour pour les femmes, tandis que leur chef se montra négligent et pervers dans l'administration qui lui était confiée. De ces amours des anges pour les femmes naquirent les géants dont les poètes ont aussi parlé ; mais ne vous en étonnez pas, puisque la sagesse divine diffère autant de la sagesse du monde que la vérité diffère de la simple probabilité. Ainsi s'exprime le prince de la matière, parlant de lui-même :
« Nous avons l'art de mentir, et toujours d'une manière très-vraisemblable. »