XXVIII.
Maintenant disons un mot sur les noms des dieux, comme nous l'avons promis. Hérodote et Alexandre, fils de Philippe, dans une lettre a sa mère (car l'un et l'autre eurent, dit-on, des entretiens avec les prêtres d'Héliopolis, de Memphis et de Thèbes), rapportent qu'ils tenaient de ces prêtres que leurs dieux avaient été des hommes. Voici comment parle Hérodote :
« Ils disaient que ceux dont ils nous montraient les effigies avaient réellement existé avec les mêmes formes humaines sous lesquelles ils étaient représentés, et qu'ils n'étaient rien moins que des dieux ; mais ils ajoutaient qu'avant eux des divinités avaient régné sur l'Égypte, sans avoir rien de commun avec ces hommes; que toujours un d'entre eux avait eu le souverain pouvoir; que le dernier qui régna sur cette contrée, après avoir détrôné Typhon, fut Orus, fils d'Osiris. Or, Orus est appelé Apollon par les Grecs, et le nom d'Osiris, dans leur langue, signifie Bacchus. »
D'où il suit que tous les autres rois d'Égypte et le dernier furent de simples mortels, et que leurs noms ont été transportés de l'Égypte dans la Grèce, selon Hérodote, qui atteste
« qu'Apollon et Diane étaient fils de Denys et d'Isis, et que Latone fut leur nourrice et leur gardienne. »
Ainsi donc les Égyptiens ont fait des dieux de leurs premiers rois et de leurs femmes, soit par ignorance du vrai Dieu, soit par reconnaissance pour la sagesse de leur gouvernement.
« Tous les Égyptiens, continue Hérodote, leur sacrifient des bœufs sans tache et de jeunes taureaux ; mais il est défendu de leur immoler des génisses, parce qu'elles sont consacrées à Isis, dont la statue a la forme d'une femme avec les cornes de bœuf, comme les Grecs représentent lo. »
Or, je vous le demande, pouvez-vous trouver des témoins plus croyables que ceux qui ont reçu de leurs pères, par ordre de succession, non seulement le sacerdoce, mais encore le dépôt de l'histoire ? Est-il vraisemblable que les ministres des temples, qui honoraient avec tant de piété les statues, aient déclaré si formellement que leurs dieux n'avaient été que de simples mortels, si la vérité ne leur avait arraché cet aveu ? Sans doute Hérodote n'inspirerait pas plus de confiance qu'un conteur de fables s'il était le seul à dire que les dieux sont désignés comme des hommes dans l'histoire des Égyptiens, lorsqu'il ajoute à ce que nous venons de dire ces autres paroles :
« Je vous dirai sur les dieux ce que j'ai appris avec déplaisir; je n'ai pu recueillir que de vains noms.»
Mais puisque la même chose est confirmée par Alexandre et par Mercure, surnommé Trimégiste, et allié avec la race éternelle des dieux, ainsi que par une foule d'autres que je ne nomme point, il ne reste plus aucun motif de douter que c'est leur titre de rois qui valut à ces hommes les honneurs divins. Les savants d'Égypte viennent encore à l'appui de cette vérité; car tout en déifiant l'air, la terre, le soleil et la lune, ils pensent que les autres dieux étaient de simples mortels, et que leurs temples ne sont autre chose que leurs tombeaux. C'est aussi ce que nous apprend Apollodore dans son Livre des Dieux. Bien plus, Hérodote lui-même qualifie de mystères les passions de ces prétendues divinités :
« J'ai déjà dit que dans la ville de Busiris on célèbre une fête en l'honneur d'Isis. Après le sacrifice, plusieurs milliers d'assistants, hommes et femmes, par couples séparés, se frappent ; mais il m'est défendu de dire comment. »
Or, je vous le demande, si ce sont là des dieux, ils sont immortels, et par conséquent à l'abri de toutes nos faiblesses. Mais si on se frappe en célébrant leurs mystères, ainsi que je viens de le dire, et si leurs passions font partie de ces mystères, que sont-ils autre chose que de simples mortels, comme l'atteste encore Hérodote?
« Celui dont je n'ose ici rappeler le nom a son tombeau dans la ville de Saïs, dans le temple de Minerve; là, sont deux grands obélisques, contigus aux murs du temple, et tout près se trouve un bassin de pierre parfaitement travaillé, qui me paraît être aussi grand que le lac de Délos, appelle Trochoïde. Là encore on voit quelques effigies représentant les passions de ce dieu, lesquelles sont appelées par les Égyptiens des mystères nocturnes. »
Ainsi, l'on montre non seulement le tombeau d'Osiris, mais aussi la manière dont il est construit.
Écoutez encore le même auteur :
« Quand vous apportez, dit-il, un cadavre aux hommes chargés d'embaumer les corps, ceux-ci vous montrent des portraits en bois représentant ces anciens morts ; parmi ces portraits il s'en trouve un parfaitement dessiné, mais il ne m'est pas permis, je crois, de prononcer ici le nom du personnage qu'il représente. »