4.
Les ténèbres, dit l'Ecriture , couvraient la face de l'abyme. Certains hommes tournant ces paroles à leur propre sens, ont encore pris de-là occasion de débiter des fables et des fictions encore plus impies que celles que nous venons de réfuter. Ils n’expliquent pas naturellement les ténèbres, un certain air non éclairé , ou un lieu ombragé par l'interjection d'un corps , ou en général un lieu privé de lumière par quelque cause que ce soit ; mais ils entendent par ténèbres une puissance mauvaise, ou plutôt le mal lui-même, qui tient l'être de soi , qui est opposé et contraire à la bonté de Dieu. Si Dieu est la lumière , les ténèbres. disent-ils conséquemment à leurs principes, doivent être la puissance qui le combat : les ténèbres n'ont pas reçu l'être d'un autre , mais elles sont le mal qui s'est donné l'être à lui-même: les ténèbres sont les ennemies des âmes, les auteurs de la mort et le fléau de la vertu. Ils prétendent faussement que les paroles mêmes du Prophète annoncent que les ténèbres existaient sans avoir été créées par Dieu. De-là , quels dogmes pervers et impies n'ont pas été forgés ? quels loups cruels ne déchirent pas le troupeau de Dieu, s'autorisant d'une simple parole pour s'emparer des âmes ? n'est-ce pas de-là que viennent les Marcions , les Valentins , et l'hérésie abominable des Manichéens1, qu'on peut appeler avec raison la honte et l'opprobre de l'Eglise ? ô homme, pourquoi vous éloignez-vous si fort de la vérité ? pourquoi cherchez-vous des sujets pour vous perdre ? Les paroles de l'Ecriture sont simples et faciles à comprendre: La terre était invisible, dit-elle. Quelle en était la raison ? c'est que l'abyme couvroit sa surface. Et que doit-on entendre par abyme ? Une grande quantité d'eau dont le fond n'est pas facile à trouver. Mais nous savons, dira-t-on peut-être , que plusieurs corps paraissent souvent à travers une eau légère et transparente. Comment donc aucune partie de la terre ne se montrait-elle à travers les eaux ? c'est qu'elle était enveloppée d'un air obscur et ténébreux. Les rayons du soleil qui pénètrent à travers les eaux, montrent souvent les cailloux qui sont au fond ; mais dans une nuit profonde il est impossible de voir sous l'eau. Ainsi ce qui rendait la terre invisible, c'est que l'abyme dont elle était chargée était obscurci par les ténèbres.
L'abyme n’était donc pas une multitude de puissances contraires, comme quelques-uns l’ont imaginé. Les ténèbres n'étaient pas non plus une puissance principale et mauvaise, opposée à l'être bon. Deux êtres également puissants , opposés l’un à l'autre, se détruiront entièrement l’un l'autre. Ils se causeront réciproquement des peines, et se feront une guerre sans fin. Celui des deux qui aura l'avantage, détruira absolument celui qu'il aura vaincu. Si donc on dit que le mal s'oppose au bien avec une égale puissance, on introduit une guerre continuelle, des défaites perpétuelles, parce que tous deux sont tour-a-tour vaincus et vainqueurs. Si le bien a l'avantage, qu'est-ce qui empêche que le mal ne soit absolument détruit Mais si.... Il n'est pas permis de finir. Je suis étonné due des hommes qui se portent des blasphèmes aussi horribles ne se détestent pas eux-mêmes. On ne peut dire sans choquer la piété, que le mal tire son origine de Dieu, parce que les contraires ne naissent pas des contraires. La vie n'engendre pas la mort, les ténèbres ne sont pas le principe de la lumière, la maladie n'est pas la cause de la santé: mais dans les changements d'états , on passe d'un contraire à lin contraire; dans les générations, un être ne naît pas d'un être contraire, mais d'un être de même espèce. Mais si l'on ne peut dire que le mal tire son origine de lui-même, ni de Dieu, doit prend-il donc naissance ? car aucuns de ceux qui; participent à la vie ne peuvent nier que les maux existent. Que dirons-nous : Le mal .n est pas tale créature vivante et animée, mais une disposition de faille opposée à la vertu, dans laquelle se trouvent les bielles qui ont abandonné la route du bien.
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L'opinion qui opposait la nuit au jour, la lumière aux ténèbres, l'être bon à l'être mauvais , était bien plus ancienne que les Manichéens : saint Basile la détruit avec beaucoup de force et de subtilité. ↩