5.
Il est probable qu'avant ce monde il existait quelque chose que notre esprit peut imaginer, mais que l'Écriture supprime dans son récit, parce qu’il ne convenait pas d’en parler à des hommes qu'on instruit encore, et qui sont enfants pour les connaissances. Oui, sans doute, avant que ce monde fût créé, il existait une constitution plus ancienne, convenable à des puissances célestes1, lune constitution qui a précédé les temps visibles, une constitution qui a commencé, mais qui ne doit jamais finir. Les ouvrages qu'y a formés l'Ouvrier suprême, le Créateur de l’univers, sont une lumière spirituelle, qui convient à l'état bienheureux d'êtres qui aiment le Seigneur, des natures raisonnables et invisibles, en un mot tout cet ordre de créatures spirituelles, auxquelles notre pensée ne peut atteindre, et dont nous ne pouvons même trouver les noms. C'est-là ce qui compose la nature du monde invisible, comme nous l'apprend le divin Paul : Tout a été créé en lui, dit-il, les choses visibles et invisibles, les trônes, les dominations, les principautés, les puissances ( Col. 1. 16. ) ; c'est-à-dire , les armées des anges commandées par les archanges.
Dieu devait ajouter à ce qui existait déjà, ce monde, d'abord et principalement comme une école où l'esprit des hommes peut s'instruire : c'était ensuite un séjour parfaitement propre à des êtres qui s'engendrent et se dissolvent. Rien aussi de plus analogue au monde, aux animaux et aux plantes qu'il renferme, que la succession du temps, lequel se presse toujours, et fait perpétuellement sans jamais s'abriter dans sa course. N’est-ce pas là ce qu'est le temps, dont le passé n'existe plus , dont l’avenir n'existe pas encore, dont le présent nous échappe avant que nous le connaissions ? Telle est encore la nature des êtres qui prennent naissance ; on les voit croître ou décroître, on ne les voit jamais dans un état fixe et stable. Or, des animaux et des plantes, dont les corps comme enchaînés à un cours qu'ils suivent malgré eux, sont emportés par un mouvement qui les entraîne vers la génération ou la dissolution, doivent être soumis au temps dont la nature particulière est conforme à des êtres changeants et variables. De-là l'écrivain profond qui nous apprend la création du monde, emploie les paroles qui lui conviennent davantage : Au commencement, dit-il, Dieu créa, c'est-à-dire , lorsque le temps commença à couler. Car lorsqu'il a dit que le monde a été fait au commencement, il ne veut pas assurer qu'il est plus ancien que tout ce qui existe : mais il annonce que les choses visibles et sensibles n ont commencé à exister qu'après les invisibles et les spirituelles.
On appelle commencement ou principe2 , le premier mouvement vers une chose ; par exemple, le commencement de la bonne voie est de faire la justice (Prov. 16. 5.). Car les actions justes sont un premier mouvement vers la vie bienheureuse. On appelle encore commencement ou principe, lorsqu une chose est sous une autre qui la porte, comme le fondement dans une maison et la carène dans un vaisseau. C'est d'après cela qu'il est dit : Le commencement de la sagesse est la crainte du Seigneur ( Prov. 1. 7. ) ; car la piété est comme la base et le fondement de la perfection. Le principe des ouvrages qui proviennent de l’art est l'art lui-même. Ainsi l’habileté de Béséléel était le principe des ornements du tabernacle. Le principe des actions est souvent encore la fin utile et honnête qu'on s'y propose. Ainsi les bonnes grâces de Dieu sont le principe de l'aumône; les promesses contenues dans l'Évangile sont le principe de toutes les actions vertueuses.
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