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Ne soyez pas étonnés si , lorsque vous avez des maîtres dont vous allez tous les jours recevoir les leçons, lorsque vous conversez avec les plus illustres des anciens écrivains, par les livres qu'ils nous ont laissés, je prétends avoir trouvé quelque chose de meilleur à vous dire. Je viens vous avertir de ne pas suivre aveuglément des docteurs profanes, de ne pas vous livrer à eux sans réserve, mais de prendre chez eux ce qu'il y a de bon et de savoir ce qu'il faut rejeter. Confinent donc pourrons-nous faire ce choix ? c'est ce que e veux vous apprendre , et c'est par où. je vais commencer.
Nous croyons, mes chers enfants, que la vie présente n'est rien ; tout ce qui se borne à l'utilité de cette vie n'est pas un bien à nos yeux. La naissance, la force, la beauté, la bonne mine, les honneurs, l'empire même, tout ce qu'il y a de plus grand dans le monde, nous paraît peu désirable : suais envier le bonheur de ceux gui possèdent ces avantages, nous portons plus loin nos espérances; et, dans tout ce que nous faisons , nous nous proposons pour terme une vie future. Tout ce qui peut nous y conduire, nous disons qu'il faut l'aimer et le rechercher de toutes ses forces, mais qu'on doit mépriser tout ce qui ne saurait nous aider à l'obtenir. Pour vous expliquer quelle est cette vie, quelle en sera la nature et le séjour, il faudrait vous entretenir plus longtemps que je n'ai résolu, et sur des objets qui passeraient votre capacité. Il me suffira de vous dire qu'en rassemblant toute la prospérité dont les hommes ont joui depuis qu'il en existe, on ne trouvera rien qui approche du bonheur d'une autre vie ; on verra que toute la somme des biens présents est aussi inférieure au moindre des biens futurs, que l'ombre et le songe soin au-dessous de la réalité : ou plutôt, pour nie servir d'un exemple plus propre, autant l'unie est plus précieuse que le corps, autant la vie future l'emporte sur la vie présente. Les saintes Ecritures nous apprennent ces vérités, en nous instruisant par des dogmes mystérieux. Mais comme votre jeunesse ne vous permet pas encore de pénétrer dans leur profondeur, nous exerçons les yeux de votre esprit a regarder dans des livres qui ne leur sont pas opposés, comme dans des ombres et dans des miroirs. C'est ainsi qu'on occupe les soldats de divers exercices qui paraissent des amusements, mais qui leur servent pour des combats sérieux. Imaginez-vous qu'on nous propose un combat de la plus grande importance , et qu'il faut nous y préparer avec tout le soin dont nous sommes capables , nous occuper de la lecture des poètes, des orateurs , tous les écrivains qui peuvent nous servir à perfectionner notre tune. Comme donc les ouvriers en teinture préparent avec de certaines drogues les étoiles qu'ils veulent teindre en couleur de pourpre , ou en toute autre couleur que ce soit. ; de même, si nous voulons empreindre en nous l'idée du beau assez fortement pour qu'elle soit ineffaçable , nous devons nous initier dans les sciences profanes, avant que de vouloir entrer dans les secrets des sciences sacrées. Par-là, nous nous accoutumerons à ces vives lumières, comme on s'accoutume à regarder le soleil en voyant son image dans l'eau.
Si les sciences profanes ont quelque rapport avec les sciences sacrées, il nous sera avantageux de les connaître ; sinon, nous en connaîtrons la différence en les rapprochant l'une de l'autre, et cela ne contribuera pas peu à nous affermir dans la connaissance de la vérité. Par quelle comparaison pourra-t-on mieux se représenter l'une et l'autre doctrine . Les arbres ont une vertu naturelle pour se charger de fruits dans leur saison, mais ils produisent aussi des feuilles qui sont cairn-me l'ornement des rameaux que le vent agite avec elles : c'est ainsi que les âmes produisent la vérité , qui est comme le fruit et la production principale ; nais c'est un avantage que ces mêmes âmes soient environnées des sciences profanes, comme de feuilles qui ombragent le fruit et qui l’embellissent. On dit que Moïse, dont la sagesse est si vantée, s'était exercé dans les sciences des Egyptiens ( Act. 7. 22. ) , lesquelles lui servirent de degrés pour parvenir à la contemplation du grand Etre. On dit aussi que, dans les siècles suivants, Daniel fut instruit dans la sagesse des Chaldéens, avant que de s'appliquer aux sciences sacrées ( Dan. 1. 4.); je vous ai montré suffisamment que les sciences profanes ne sont pas inutiles ; il faut maintenant vous apprendre dans quelles sources vous devez les puiser. Pour commencer par les poètes dont les discours sont plus variés, nous ne devons pas nous attacher à tout ce qu'ils disent. Nous recueillerons les actions et les paroles des grands hommes dont ils nous parlent ; nous les admirerons, et nous tâcherons de les imiter. Mais quand ils nous présenteront d'infâmes personnages, nous nous boucherons les oreilles pour nous garantir de pareils exemples, comme fit Ulysse, suivant leur rapport, pour éviter le chant des sirènes ( Odyssée. l. 12. v, 173. ). On s'accoutume aux mauvaises actions, en écoutant de mauvais discours. Nous devons clone garder soigneusement notre âme, de peur que des maximes perverses ne s'insinuent par l'agrément des paroles , et que nous n'avalions le poison avec le miel. D’après cela nous ne ferons aucune estime des poètes médisants et satiriques, ni de ceux qui représentent des hommes livrés à l'amour et au vin. Nous ne les écouterons pas , lorsqu'ils mettent la félicité à jouir d'une table somptueuse qui retentit de chansons dissolues ; et encore moins lorsqu'ils parlent de la pluralité des dieux et de leurs querelles indécentes. Le frère, chez les poètes, est en discorde avec son frère; les parents et les enfants se font une guerre implacable. Ils attribuent à leurs dieux des adultères, des amours et des commerces infâmes, et surtout à ce Jupiter qu'ils annoncent comme la divinité suprême. Abandonnons au théâtre ces horreurs qu'on rougirait d’attribuer à des brutes.