3.
[9] Lorsqu'une fois celui qui avait fait naître l'envie en lui-même en se détournant du bien, eût incliné vers le mal, à la façon d'une pierre détachée du sommet d'une montagne, qui se trouve entraînée en avant par son propre poids, il se vit lui-même, quand il se fut arraché de son affinité naturelle avec le bien, et incliné vers le vice, emporté de son propre mouvement, par son poids pour ainsi dire, vers le dernier degré de la perversité; la faculté de penser qu'il avait reçue du créateur pour coopérer avec lui à communiquer le bien, il la fit servir à la découverte de desseins mauvais, et c'est ainsi qu'il circonvint habilement l'homme par fraude, le persuadant de devenir son propre meurtrier et l'amenant au suicide.
[10] La puissance qu'il avait reçue d'un bienfait de Dieu conférait en effet à l'homme une condition élevée, car il avait été chargé de régner sur la terre et sur tout ce qu'elle renferme ; elle lui conférait la beauté extérieure, puisqu'il avait été fait à l'image du modèle même de la beauté, — l'absence des passions, puisqu'il était le portrait de celui qui ne connaît pas la passion, une entière liberté de langage, puisqu'il se repaissait du délice de voir Dieu face à face : autant d'aliments qui enflammaient chez l'Ennemi la passion de l'envie.
[11] Mais il n'était pas capable d'exécuter son dessein par la force et par l'usage violent de son pouvoir, car la puissance attachée au bienfait de Dieu remportait sur sa violence. Toutes ces raisons l'amenèrent à tramer 1 des artifices en vue de détacher l'homme de la puissance qui lui donne sa force, pour le prendre facilement au piège de sa machination. Il en est de même pour une lampe dont la mèche a pris feu de tous côtés. Si ne pouvant éteindre la flamme en soufflant, on mélange de l'eau à l'huile, on arrivera par ce stratagème à obscurcir la flamme. De même ayant par fraude mêlé le vice à la libre volonté de l'homme, l'Ennemi a déterminé comme l'extinction et l'obscurcissement du bienfait divin. Ce bienfait venant à manquer, ce qui lui est opposé se présente de toute nécessité à sa place. Or à la vie s'oppose la mort, à la puissance la faiblesse, à la bénédiction l'imprécation, à la liberté de tout dire, un sentiment de honte, et à tous les biens, ce que l'esprit regarde comme leurs contraires. Voilà pourquoi le genre humain est plongé dans les maux présents, ce premier pas ayant fourni le point de départ qui a abouti à un tel résultat.
