CHAPITRE VIII
[1] Et on allait vers la sixième année depuis que la tempête ne cessait de souffler sur nous. Il y avait avant celle époque, dans la mine de Thébaïde qui porte le nom de la pierre de porphyre qu'elle produit, une assez grande multitude de confesseurs de la religion. Quatre-vingt-dix-sept hommes d'entre eux, avec femmes et enfants en bas âge, sont envoyés au gouverneur de la Palestine. Sur la terre des Juifs, ils confessent le Dieu de l'univers et le Christ ; on leur coupe avec des fers chauds les tendons du pied gauche et ensuite on leur crève l'œil droit ; d'abord, avec des poignards, on leur enlève la membrane et la pupille ; puis, avec des fers rouges, on détruit complètement l'organe jusqu'à la racine. El c'est Firmilien, envoyé comme gouverneur pour succéder à Urbain, qui ordonne cela, d'après, prétend-il, une volonté impériale. Ensuite ces malheureux sont envoyés aux mines de la province, pour y traîner leur misère dans le labeur et la souffrance.
[2] Ceux-là ne sont au reste pas les seuls que nous avons de nos yeux vus souffrir de la sorte. Il y eut encore des Palestiniens condamnés aux combats des gladiateurs et dont nous avons parlé un peu plus haut. Comme ils ne voulaient pas des aliments qui leur venaient du trésor impérial ni des exercices qui les préparaient aux luttes, [3] ils eurent alors à comparaître pour cela, non pas seulement devant des préfets ou des gouverneurs, 229 mais devant Maximin lui-même. Ils montrèrent une très généreuse constance dans la confession par le courage à endurer la faim et la patience à supporter les fouets ; ils souffrirent les mêmes tourments que ceux dont nous venons de parler, avec d'autres confesseurs qui leur furent adjoints, à Césarée même. [4] Ceux-ci venaient d'être pris dans la ville de Gaza, au moment de l'assemblée des divines lectures ; les uns eurent à supporter les mêmes souffrances que ceux-là dans leurs pieds et leurs yeux ; les autres, plus nombreux, furent mis à l'épreuve des plus terribles tortures appliquées aux flancs. [5] Parmi eux, une chrétienne, femme par le corps, mais virile par sa détermination, ne supporta pas la menace de la prostitution ; elle dit une parole contre le tyran qui avait pu confier le pouvoir à des juges aussi cruels. D'abord, elle est fustigée ; puis, élevée sur le chevalet, elle est déchirée sur les flancs [6] tandis qu'avec acharnement et violence, les bourreaux lui appliquent les tortures, sur l'ordre du juge, une autre femme, qui était bien au-dessus de tous ces champions fameux de la liberté vantés chez les Grecs, ne tolère pas l'absence complète de pitié, la cruauté, l'inhumanité de tout ce qu'on faisait là. Comme celle-là, elle avait assumé le labeur de la virginité. Son corps était tout à fait chétif d'apparence, et d'aspect méprisable ; mais elle était par ailleurs courageuse dans son âme et elle avait embrassé une détermination bien au-dessus de son corps. « Et jusques à quand, cria-t-elle.au juge du milieu de la foule, feras tu torturer ma sœur aussi cruellement?» Celui-ci, tout à fait piqué au vif, ordonne qu'on se saisisse sur-le-champ de celte femme virile. [7] Aussitôt elle 231 est traînée au milieu [du tribunal] et s'inscrit sous le nom auguste du Sauveur. Tout d'abord, on l'exhorte par des discours à sacrifier et, comme elle refuse, on la tire de force vers l'autel. Mais celle-ci agit en conformité avec elle-même et continue son premier acte de courage; sans trembler et avec audace, elle donne un coup de pied à l'autel et renverse ce qui était dessus avec le brasier qui s'y trouvait. [8] Sur ce, le juge, semblable à une bête sauvage aiguillonnée parla colère, lui fait d'abord appliquer tant de blessures aux flancs que personne n'en a jamais supporté ; il semblait même presque se plaire à se rassasier de ses chairs crues. Mais, lorsque sa férocité fut satisfaite, il les unit toutes deux et celle-ci ainsi que l'autre qu'elle avait appelée sa sœur furent condamnées à mourir par le feu. La première des deux est, dit-on, du pays de Gaza ; mais il faut que l'on sache que l'autre est sortie de Césarée; elle y était connue de beaucoup et Valentinie était son nom.
[9] Mais comment pourrais-je raconter dignement le martyre qui suivit, et dont .fut honoré Paul trois fois bienheureux. A la même heure que ces femmes, il était compris dans la même sentence de mort. Au moment de sa fin, il sollicita de celui qui n'allait pas tarder à le décapiter, de lui donner un court instant. [10] Il l'obtint, et d'une voix claire et sonore, en premier lieu, il demanda à Dieu, dans ses prières, pour ceux qui étaient du même peuple, la réconciliation, implorant que le plus rapidement possible la liberté leur fût accordée. Il demanda ensuite pour les Juifs leur accession à Dieu par le Christ. 233 Puis il arriva à solliciter dans son discours la même faveur aussi pour les Samaritains. Il exhortait ceux des gentils qui étaient dans l'erreur et l'ignorance de Dieu à venir le connaître et à recevoir la véritable religion, ne négligeant pas non plus ceux qui se tenaient alors pêle-mêle autour de lui. [11] Après tous ceux-là, ô grande et ineffable résignation! pour le juge qui l'avait condamné à mort, pour les souverains et même pour celui qui devait dans un instant lui couper la tête ainsi que pour tous ceux qui étaient présents, il priait le Dieu de l'univers, lui demandant de ne pas leur imputer en compte la faute qu'ils commettaient envers lui. [12] Il faisait ces prières et d'autres analogues à haute voix, et presque tous, comme s'il mourait injustement, se sentaient portés à la pitié et aux larmes. Selon l'usage, il arrangea lui-même ton vêtement, découvrit son cou, le livra au tranchant du glaive et fut honoré d'un divin martyre, le vingt-cinquième jour de Panémos, ce qui équivaut au huit des calendes d'août. Telle fut la fin de ces confesseurs. [13] Peu de temps s'écoula, et de nouveau les admirables athlètes de la confession du Christ qui étaient venus de la terre d'Egypte au nombre de cent trente, après avoir subi par ordre de Maximin les mêmes tourments que ceux d'auparavant en cette même Egypte, dans leurs yeux et leurs pieds, furent envoyés les uns aux mines de Palestine déjà mentionnées; les autres vers ceux qui étaient condamnés en Cilicie.