CHAPITRE XI (version brève)
[1] L'heure présente appelle le récit du grand et célèbre spectacle qu'ont donné ceux qui ont consommé leur martyre autour de celui dont le nom m'est trois fois cher, de Pamphile. Ils étaient douze en tout et avaient été jugés 255 dignes d'un charisme et d'un nombre prophétique et apostolique.
[2] Leur coryphée et le seul honoré de la dignité de membre du presbyteorion de Césarée, était Pamphile, homme qui pendant sa vie entière s'était distingué par toutes les vertus, par la fuite et le mépris du monde, le partage de ses biens aux indigents, le peu d'estime pour les espérances terrestres, parla vie philosophique et l'ascèse. Mais surtout, plus que tous nos contemporains, il s'était fait remarquer par son zèle très généreux pour les saintes Écritures et son infatigable labeur en ce qu'il entreprenait et par l'assistance qu'il donnait à ses parents et à tous ceux qui l'approchaient. [3] Les autres traits de vertu demanderaient un récit trop long. Nous les avons déjà transmis auparavant 257 dans un écrit formant trois livres de Mémorables, dont le sujet spécial est sa propre vie. Nous y renvoyons ceux qui ont le désir de connaître ces choses. Pour le présent retenons ce qui concerne les martyrs.
[4] Le second qui après Pamphile vint au combat était orné de cheveux blancs qui convenaient à sa sainteté ; il s'appelait Valons et était diacre de l'église d'Ae-lia, vieillard très vénérable par son extérieur même; il savait les Écritures comme personne : il s'en était tellement approprié le souvenir qu'il n'avait pas besoin d'être en contact avec les textes ; il citait de mémoire les passages qu'il voulait employer. [5] Le troisième 259 parmi ceux-ci était Paul, qui était très ardent et en qui l'Esprit bouillonnait; on le savait originaire de la ville de Jamnia ; avant son martyre il avait enduré les fers rouges, quand il soutint le combat de la confession.
Ils avaient passé deux années entières dans la prison ; l'occasion de leur martyre fut une arrivée de frères d'Egypte, qui furent aussi exécutés avec eux. [6] Ceux-ci avaient escorté les confesseurs en Cilicie, jusqu'aux mines qui s'y trouvent, et ils revenaient chez eux. Comme cela s'était déjà fait, à l'entrée même des portes de Césarée, il leur fut demandé à eux aussi qui ils étaient 261 et d'où ils venaient, par les gardes, qui étaient des barbares pour le genre de vie. Ils ne cachèrent rien de la vérité et comme des malfaiteurs pris en flagrant délit ils furent arrêtés ; ils étaient au nombre de cinq. [7] On les amena devant le tyran, et en sa présence, ils parlèrent en toute indépendance et furent aussitôt enfermés en prison. Le jour après, le seize du mois Péritios (selon les Romains, le quatorze avant les calendes de mars), sur un ordre, on les amena, avec les compagnons de Pamphile, cités plus haut, devant le juge. [8] Celui-ci tout d'abord éprouve l'invincible constance des Égyptiens par toutes sortes de tortures et avec de multiples instruments inconnus jusque-là et imaginés alors.
Ce fut sur le chef de tous qu'il s'essaya dans 263 ces combats, il lui demanda d'abord qui il était; au lieu de son propre nom, le juge l'entendit donner le nom d'un prophète. — Il en fut de même ainsi de la part de tous, et à la place des noms qui leur avait été imposés par leurs pères et qui étaient des noms d'idoles, quand cela se trouvait, ils s'en donnaient d'autres ; c'est sous les noms d'Elie, Jérémie, Isaïe, Samuel et Daniel qu'on les aurait entendus s'inscrire. Ils montraient qu'ils étaient le juif intérieur, le véritable et pur Israël de Dieu, et ce n'était pas seulement par les œuvres qu'ils le montraient, mais c'était encore par des paroles qui le déclaraient au sens propre. — Ayant donc entendu du martyr un pareil nom, Firmilien n'en saisissait pas le sens, et il lui demandait ensuite quelle était sa patrie. [9] Celui-ci prononce une seconde 265 parole qui s'accordait avec la première et dit que Jérusalem était sa patrie; sûrement il pensait à celle dont Paul a dit : « La Jérusalem d'en haut est libre et c'est elle qui est notre mère », et: « Vous êtes venus à la montagne de Sion et à la ville du Dieu vivant, à la Jérusalem d'en haut ». [10] Il pensait à celle-là ; mais l'autre fixait sa pensée sur la terre et en bas ; il cherchait avec beaucoup de soin quelle était cette ville et en quel endroit de la terre elle se trouvait; il faisait appliquer la torture au confesseur pour qu'il dît la vérité. Mais le patient, qui avait les mains et les pieds brisés derrière le dos par d'étranges machines, assurait qu'il avait dit vrai. [11] Puis, le juge redemandait à plusieurs reprises quelle était et où se trouvait située 267 la ville qu'il nommait, et le confesseur disait que cette patrie était celle des seuls fidèles, car personne autre n'en fait partie, hormis ceux-ci ; d'autre part elle est située à l'orient, du côté où le soleil se lève. [12] Là encore, celui-ci philosophait ainsi selon sa propre conception et tandis que les bourreaux autour de lui le tourmentaient par des tortures, il ne revenait pas sur ses dires, comme s'il eut été sans chair et sans corps, il semblait ne pas s'apercevoir de ses souffrances. Quant à l'autre, à bout de ressources, il trépignait et pensait que les chrétiens avaient organisé en quelque endroit une ville ennemie des Romains ; il se multipliait pour la découvrir, et la contrée qu'on lui avait indiquée, il la cherchait à l'orient. [13] Après avoir longtemps 269 encore fait déchirer le jeune homme avec des fouets et l'avoir puni par toutes sortes de tourments, il est fixé sur son inébranlable persistance dans ses déclarations premières, il porte contre lui la sentence de mort par décapitation. Voilà quel drame fut l'affaire de celui-ci. Pour les autres le juge les fit exercer aussi à des combats analogues, et mourir de la même façon.
[14] Fatigué alors et convaincu que c'était en vain qu'il châtiait ces hommes, sa colère du reste étant rassasiée, il envient aux compagnons de Pamphile. Il savait qu'ils avaient déjà auparavant montré dans les tortures un immuable courage pour leur foi. Il leur demande s'ils voulaient maintenant obéir ; il reçoit de chacun la même réponse. C'était la parole suprême de leur témoignage. Il porte contre eux la même sentence que pour les premiers. 271 [15] On les emmenait pour l'exécution, quand un adolescent qui était un serviteur de la domesticité de Pamphile et qui avait reçu une formation et une éducation digne de ce grand homme, apprenant la sentence rendue contre son maître, cria du milieu de la foule pour demander que les corps fussent ensevelis dans la terre. [16] Le juge, alors, ne fut plus un homme, mais une bête sauvage ou quelque chose de plus féroce encore; il n'accueillit pas ce qu'avait de raison- 273 nable cette demande non plus qu'il ne pardonna au jeune homme à cause de son âge. Il ne demanda qu'une chose, s'il était chrétien, et quand il le sut, il fut comme blessé par un trait, et gonflé de colère, il ordonna aux bourreaux de faire usage contre lui de toute leur force. [17] Dès qu'il le vit refuser d'obéir à l'ordre de sacrifier, ce ne fut pas comme une chair humaine, mais comme de la pierre ou du bois ou quelque chose d'inanimé, qu'il ordonna de le déchirer sans relâche jusqu'aux os mêmes et aux entrailles dans les profondeurs les plus cachées. On fit cela longtemps, et le juge reconnut que son entreprise était vaine. Le corps de l'adolescent était broyé par les tortures, sans voix, insensible et presque entièrement privé de vie. [18] Le juge avait la dureté et l'inhumanité tenaces. Il condamne 275 le patient à être livré sur-le-champ et tel qu'il était, à un feu lent, Et celui-ci avant l'achèvement du martyre de son maître selon la chair, venu le dernier au combat, il recevait le premier la mort du corps, tandis qu'attendaient encore ceux qui s'étaient hâtés aux luttes précédentes.
[19] Il fallait voir Porphyre dans l'attitude d'un vainqueur aux jeux sacrés après tous les combats, le corps couvert de poussière, mais le visage brillant. C'était avec une résolution courageuse et fière qu'après de telles épreuves, il marchait à la mort véritablement rempli de l'Esprit divin lui-même. Un habit de philosophe était le seul vêtement qu'il avait autour de lui; il le portait à la façon d'un manteau. Avec une déter- 277 mination calme, il donnait ses instructions et disait ses volontés à ses amis, et jusque sur l'échafaud il gardait encore un visage rayonnant. Mais comme on avait allumé du dehors le bûcher qui l'entourait à une distance assez éloignée, de côté et d'autre il aspirait fortement la flamme avec la bouche, et très courageusement jusqu'au dernier souffle, il persistait dans le silence. Il ne laissa échapper qu'une seule parole au moment où la flamme le touchait ; il appela alors le Fils de Dieu, Jésus, à son secours.
Tel fut encore le combat de Porphyre. [20] Le messager qui apprit la consommation de son martyre à Pamphile est Séleucus, un des confesseurs qui avaient 279 servi dans l'armée. Pour avoir été le ministre d'un tel message, il est jugé digne de partager sans délai le sort des autres. Au moment même, en effet, où il annonçait la fin de Porphyre et abordait un des martyrs avec un baiser, des soldats le surprennent et le conduisent au gouverneur. Celui-ci, comme s'il fût pressé de le faire devenir le compagnon de roule de ceux qui étaient en avant pour le voyage du ciel, ordonne de lui infliger sur-le-champ la peine capitale. [21] Séleucus était du pays des Cappadociens. Il faisait partie d'un corps de jeunes soldats d'élite, et parmi ceux qui étaient dans les dignités romaines, il n'avait pas obtenu un rang médiocre. Pour son âge, en effet, sa vigueur de corps, sa haute stature et sa force, il dépassait de beaucoup ses compagnons d'armes, si bien que sa prestance 281 était célèbre auprès de tous et toute son attitude attirait la sympathie à. cause de sa taille et de sa bonne mine. [22] Il est vrai qu'au début de la persécution, il avait été remarqué pour sa constance sous les fouets, dans les luttes de la confession ; puis, après son départ de l'armée, il se fit l'émule des ascètes de la religion. Pour les orphelins abandonnés, pour les veuves sans appui, pour ceux qui étaient tombés dans la pauvreté et la misère, il paraissait comme un évêque et un protecteur, une sorte de père et de défenseur. C'est vraisemblablement pour cela que Dieu, qui se réjouit de pareilles œuvres plus que des sacrifices offerts au milieu de la fumée et du sang, le jugea digne de l'admirable 283 vocation du martyre. [23] Cet athlète était le dixième, avec ceux qu'on a cités, qui consomma son martyre dans une seule et même journée, où, comme il semble, grâce au martyre de Pamphile et d une manière digne de ce héros, une porte s'étant ouverte très grande, l'entrée devint facile avec lui et les autres, pour passer au royaume des cieux.
[24] Sur les traces de Séleucus [s'avança] Théodule, vénérable et pieux vieillard, appartenant à la domesticité du gouverneur, estimé par Firmilien plus que tous les serviteurs de sa maison, tant à cause de son âge (il était père de trois générations), que pour le dévouement et la très fidèle conscience qu'il avait gardée envers ses maîtres. Il fit à peu près la même chose que Séleucus et fut amené devant son maître. Celui-ci en 285 fut plus excité que par ceux qui l'avaient précédé, et Théodule, livré à la croix, reçoit le même martyre que le Sauveur dans sa passion.
[25] Après ceux-ci, il en manquait un pour compléter le nombre douze avec les martyrs nommés ci-dessus. Julien était là pour le finir. Il arrivait d'un voyage, et n'était pas encore entré dans la ville; il apprend [ce qui se passait], et aussitôt tel qu'il était à la suite de sa route, il se hâte pour voir les martyrs. Quand il aperçoit étendues par terre les dépouilles des saints, il est rempli de joie, les embrasse les uns après les autres et les salue tous d'un baiser. [26] Il le faisait encore, qu'il est à son tour saisi par les ministres de la mort et conduit à Firmilien. Fidèle 287 à lui-même, celui-ci le fait livrer lui aussi à un feu lent. Ce fut ainsi que Julien bondissant et transporté de joie, rendant à haute voix et sans mesure grâces au Seigneur de l'avoir jugé digne de tels héros, fut honoré de la couronne des martyrs. [27] Il était lui aussi, selon la chair, de la race des Cappadociens ; mais, dans son caractère, il était très prudent, très fidèle, très loyal, zélé en tout le reste et exhalant la bonne odeur du Saint-Esprit lui-même. Telle était la troupe des voyageurs compagnons de Pamphile qui furent jugés dignes d'accéder ensemble au martyre. [28] Pendant quatre jours et autant de nuits, sur l'ordre du gouverneur impie, les corps sacrés et vraiment saints furent gardés pour qu'ils devinssent la proie des animaux car- 289 nassiers. Mais comme par miracle ni bêle sauvage, ni oiseau, ni chien ne s'approcha d'eux; plus tard, conservés intacts par une disposition de la Providence divine, ils obtinrent les funérailles qui convenaient et ils furent selon la coutume mis dans un tombeau.
[29] L'émotion qui s'était produite à leur sujet était encore sur toutes les lèvres quand Adrien et Eubule venant de Batanée, c'est ainsi qu'est appelé ce pays, arrivaient à Césarée vers le reste des confesseurs. A la porte, on leur demande à eux aussi le motif de leur venue ; puis, comme ils avouèrent la vérité, on les conduit à Firmilien. Celui-ci, sur-le-champ et cette fois encore sans aucun délai, après de nombreuses tortures qu'il leur lit appliquer sur les lianes, les condamne à être mangés par les bêtes. [30] Deux jours se passèrent, et le cinq du mois de Dystre, le trois des nones de mars, au jour natal de la Fortune consacré par l'usage à Césarée, Adrien fut présenté à un lion, puis achevé avec un glaive. Eubule, après un jour d'intervalle, aux nones mêmes, c'est-à-dire le sept de Dystre, fut supplié longuement par le juge de sacrifier et d'obtenir 291 ainsi ce qu'ils pensent être la liberté. A la vie passagère il préféra la mort glorieuse pour la religion, et après les bêles, comme son devancier, il fut sacrifié. Il fut le dernier des martyrs à Césarée ; il mit le sceau aux combats.
[31] Il est encore juste de rappeler ici, dans cet écrit, comment, peu après, la céleste Providence punit les magistrats impies par les tyrans eux-mêmes. Celui qui s'était laissé aller à une telle débauche de supplices contre lés martyrs du Christ, ce Firmilien, après d'autres tourments, eut à subir le châtiment suprême et il finit sa vie par le glaive. Tels sont les martyres consommés à Césarée pendant la période entière de la persécution.
CHAPITRE XI (version longue)
[Combat des saints et glorieux martyrs du Christ Pamphile, Valens, Paul, Séleucus, Porphyre, Théodule, Julien, et des Égyptiens qui étaient avec eux, écrit par Eusèbe de Pamphile.
[1] L'heure présente nous appelle à raconter à tous le grand et célèbre spectacle de Pamphile, le saint martyr, et des hommes admirables qui avec lui ont consommé leur martyre et fait voir de multiples combats pour la religion.
[a] Assurément nous savons qu'un très grand nombre se sont valeureusement conduits dans la persécution ; nous avons raconté le très rare combat de 247 ceux dont il s'agit ici et que nous avons connus. Cette lutte comprenait une foule d'êtres de tout âge et d'âmes de toute culture avec toutes les variétés de vie et d'éducation ; elle était embellie par les genres multiple, de tortures, et la diversité des couronnes dans le martyre parfait. [b] On pouvait en effet y voir des jeunes gens et de véritables enfants parmi les Égyptiens qui étaient avec eux. D'autres étaient dans l'adolescence, comme Porphyre, avec la vigueur du corps aussi bien que de l'intelligence ; ils se trouvaient avec celui dont le nom m'est cher, c'étaient Paul de Jamnia, puis Séleucus et Julien tous les deux venus du pays des Cappadociens. Il y avait aussi parmi eux des gens qui étaient ornés d'une sainte, vénérable et longue vieillesse, Valens, diacre de l'église de Jérusalem, et Théodule, qui réalisait son nom. [c] Telle était parmi eux la diversité des âges. Ils se distinguaient encore par la culture de leur âme. Les uns portaient en eux, comme des enfants, un esprit très borné et très simple ; les autres au contraire possédaient un caractère tout à fait ferme et digne ; il y en avait encore qui n'ignoraient pas les sciences sacrées. Mais chez tous il y avait en outre une force d'âme extraordinaire et vaillante. [d] Cependant ainsi qu'un météore qui brille le jour parmi des astres étincelants, au milieu d'eux se distinguait, grâce à son éclat, celui qui était mon maître (car il ne m'est pas permis d'appeler autrement le divin et vraiment bienheureux Pamphile). Il avait en effet atteint un degré exceptionnel de celte culture, qui est admirée chez les Grecs, et, en ce qui concerne la science des divins enseignements et des Écritures inspirées, il avait, s'il faut dire 249 la vérité, quoique cela soit osé, une compétence comme on ne peut pas affirmer qu'un autre de ses contemporains en ait possédé. Mais il jouissait d'une prérogative plus grande que toutes ces qualités qui lui était naturelle ou plutôt que Dieu lui avait donnée : c'était l'intelligence et la sagesse.
[e] Dans les choses de l'âme tous étaient ainsi ; mais en ce qui concerne le siècle et le genre de vie il y avait entre eux de nombreuses différences. Pamphile, en ce qui regarde la chair, tirait son origine de parents nobles, et il s'était distingué dans l'administration des affaires de sa patrie. Séleucus était honoré de grades très brillants dans l'armée. Les autres étaient de condition médiocre et commune. Leur groupe n'était pas même exempt de race servile ; en effet, le serviteur de la domesticité du gouverneur avait été joint à eux, ainsi que Porphyre qui, en apparence, était le serviteur de Pamphile, mais qui par les sentiments était un frère, ou plutôt un véritable fils, et qui n'omettait rien pour imiter son maître en tout. [f] Mais quoi donc ? Si quelqu'un disait qu'ils formaient en raccourci le type achevé d'une communauté ecclésiastique, il ne manquerait pas d'atteindre la vérité. Parmi eux, Pamphile était honoré du sacerdoce; Valons, du diaconat. D'autres avaient obtenu le rang de ceux qui ont coutume de lire devant la multitude. Séleucus, dans des confessions, s'était distingué par une très courageuse constance sous les fouets déjà longtemps avant la fin de son martyre, et il avait accepté bravement la perte de son grade militaire. Les autres après eux, par les catéchumènes et les fidèles, achevaient pour le reste, dans 251 une image de petite proportion, la ressemblance d'une église formée par des milliers de membres.
[g] J'ai contemplé ce choix si merveilleux de tant et si grands martyrs. Bien que leur nombre ne fût pas considérable, cependant il ne manquait rien de ce qu'on trouve dans les sociétés humaines. De même qu'une lyre est composée de cordes nombreuses et diverses, aiguës et graves, faibles, intenses ou modérées, mais toutes assorties à l'art musical, c'est ainsi qu'ils étaient réunis ensemble, jeunes gens et vieillards, esclaves et hommes libres, savants et ignorants, gens obscurs, selon qu'il paraît au grand nombre, et illustres, fidèles et catéchumènes ainsi que diacres et prêtres ; tous, comme sous l'impulsion d'un artiste consommé, le Verbe, Fils unique de Dieu et de la puissance qui était en chacun d'eux, vibrant de manière différente, montraient par leur constance dans les tortures, la puissance et le timbre des voix de leur confession très éclatantes et mélodieuses, harmonieuses et parfaitement d'accord, qu'ils faisaient entendre dans les tribunaux et qui tendaient vers une seule et même fin, exécutant pour le Dieu de l'univers par la consommation du martyre, la plus religieuse et la plus habile mélodie.
[h] Il est juste d'autre part aussi d'admirer beaucoup le nombre de ces hommes qui laisse voir un charisme prophétique et apostolique ; il est advenu en effet qu'ils étaient douze en tout, ainsi que les patriarches, les prophètes et les apôtres.
[i] Il ne faut pas non plus passer sous silence les détails de leur bravoure où ils eurent tant à souffrir, les 253 lacérations des flancs, les frictions avec un tissu de poils de chèvre des parties du corps qui avaient été déchirées, les flagellations implacables, les tourments multiples et alternés, les tortures terribles et insupportables que sur l'ordre du juge les satellites infligeaient aux patients sur les pieds et les mains, pour les forcer à faire quelque chose de ce qui était interdit aux martyrs.
[k] Faut-il raconter les inoubliables paroles de ces hommes divins, dans lesquelles ils se souciaient fort peu de leurs souffrances et répondaient avec un visage rayonnant et joyeux aux interrogations du juge, riant courageusement au milieu des tortures et se jouant avec verve de ses demandes? Quand, en effet, il leur demandait d'où ils étaient, ils se gardaient de nommer leur ville de la terre, mais, indiquant leur vraie patrie, ils disaient qu'ils étaient de Jérusalem, laissant voir que dans leur pensée c'était la ville céleste de Dieu vers laquelle ils se hâtaient. [l] Ils ajoutaient encore autre chose du même genre qui n'était ni intelligible ni accessible pour ceux qui n'avaient pas goûté aux choses saintes, mais qui, pour ceux qui venaient de la foi, était très clair. C'était surtout à cause de cela que le juge s'indignait et s'agitait avec colère, ne sachant que faire, il imaginait toutes sortes d'inventions contre eux afin de n'être pas vaincu. A la fin déçu de son espoir, il accordait à chacun de remporter le prix de la victoire, [m] Leur genre de mort fut divers lui aussi. Deux d'entre eux qui étaient catéchumènes consommèrent leur martyre par le baptême du feu ; un autre fut livré pour reproduire, la passion du Sauveur. Ceux qui étaient les com- 255 pagnons de celui dont le nom m'est cher ceignirent des couronnes variées. Quelqu'un pourra dire cela en faisant mention d'eux d'une façon plus générale ; mais, s'il parle tour à tour de chacun d'eux en particulier, il proclamera à bon droit bienheureux leur chef de chœur.
[2] Celui-ci était Pamphile, homme réellement aimé de Dieu, véritablement ami et familier de tous, et réalisant son nom. Il était l'ornement de l'église de Césarée, car étant prêtre il illustrait la chaire des prêtres ; il honorait le ministère sacré dans cette ville, et en était honoré lui-même. Pour le reste, il était vraiment divin et participait à une inspiration divine. Pendant toute sa vie, en effet, il s'est distingué par toutes les vertus, 257 il dit un long adieu au plaisir, à la superfluité des richesses et se consacra lui-même tout entier au Verbe de Dieu. Il renonça à ce qui lui venait de ses aïeux et le distribua entièrement à ceux qui étaient nus, estropiés et pauvres; pour lui, il vécut d'une vie gênée et dans une ascèse très courageuse il s'adonna à la divine philosophie. Il sortit donc d'abord de la ville de Béryte, où il avait nourri son premier âge des enseignements qu'on y donnait; puis parce que sa raison allait croissant vers ce qu'elle est chez les hommes faits, il passa de ces éludes à la science des saintes lettres et prit l'allure d'une vie divine et prophétique. Lui-même se présentait comme un véritable témoin de Dieu avant même la lin suprême de sa vie.
[4] Tel était Pamphile ; le second qui vint après lui au combat était Valens, orné d'une blanche chevelure qui convenait à sa sainteté et par son extérieur même 259 auguste et saint vieillard ; de plus, il connaissait les divines Écritures comme personne. Il s'en était tellement approprié le* souvenir qu'il n'y avait aucune différence entre la lecture du texte et les discours que sa mémoire avait conservés des saints enseignements. Il était diacre de l'église d'Aelia quoiqu'il fût si méritant. [5] Parmi ceux-ci, Paul était compté au troisième rang. C'était un homme tout à fait ardent, en qui bouillonnait l'Esprit. On le savait originaire de la ville de Jamnia. Avant son martyre, il avait eu à endurer les fers rouges, quand il soutint le combat de la confession.
Ils avaient passé deux ans dans la prison ; l'occasion du martyre fut une arrivée d'Égyptiens, qui furent exécutés avec eux. [6] Ceux-ci avaient accompagné jusqu'aux mines de Cilicie ceux qui y étaient condamnés et ils revenaient chez eux. A l'entrée des 261 portes de Césarée, les gardes leur demandèrent qui ils étaient, d'où ils venaient. Ils ne cachèrent rien de la vérité ; ils dirent qu'ils étaient des chrétiens. Alors comme des malfaiteurs pris en flagrant délit, ils furent arrêtés. Ils étaient au nombre de cinq. [7] On les mena devant le magistrat, et en sa présence ils parlèrent en toute indépendance ; on les jeta aussitôt dans les chaînes et le lendemain, le seize du mois de Péritios, chez les Romains le quatorze avant les calendes de mars, on les amena avec les compagnons de Pamphile devant Firmilien. [8] Celui-ci éprouva d'abord les seuls Égyptiens et les soumit à toutes sortes de tortures.
Il fit donc amener celui qui était leur chef, il lui 263 demanda qui et d'où il était ; il l'entendit au lieu de son propre nom donner le nom d'un prophète. — Il en fut ainsi de la part de tous les autres ; au lieu des noms qui leur avaient été imposés par leurs pères et qui étaient des noms d'idoles, ils donnaient des noms de prophètes. C'est Élie, Jérémie, Isaïe, Samuel, Daniel que Firmilien entendit prononcer par eux comme leurs noms. Ils montraient qu'ils étaient le juif intérieur, le véritable israélite, non seulement dans leurs œuvres, mais par des paroles qui le déclaraient au sens propre. -Ayant donc entendu du martyr un pareil nom, le juge n'en saisissait pas le sens, mais il lui demandait ensuite quelle était sa patrie. [9] Celui-ci prononce une seconde 265 parole qui s'accordait avec la première et dit que Jérusalem était sa patrie ; sûrement il pensait à celle dont Paul a dit: « La Jérusalem d'en haut est libre et c'est elle qui est notre mère », et : « Vous êtes venus à la montagne de Sion et à la ville du Dieu vivant, à la Jérusalem d'en haut ». [10] Il pensait à celle-là, mais l'autre fixait sa pensée sur la terre et en bas ; il cherchait avec beaucoup de soin quelle était cette ville et en quel endroit de la terre elle se trouvait et il faisait appliquer la torture au confesseur pour qu'il dît la vérité. Mais le patient, qui avait les mains et les pieds brisés derrière le dos par des machines, assurait qu'il avait dit la vérité. [11] Puis, le juge redemandait la même chose et à plusieurs reprises : quelle était et où se trouvait 267 située la susdite ville de Jérusalem et le confesseur disait qu'elle était la patrie des seuls chrétiens, car personne autre qu'eux seuls n'en faisait partie; d'autre part elle est située à l'orient, du côté de la lumière elle-même et du soleil. [12] Là encore, celui-ci philosophait ainsi selon sa propre conception; tandis que les bourreaux autour de lui le tourmentaient par des tortures, il ne revenait pas sur ses dires; comme s'il eût été sans chair, sans corps, il semblait ne pas s'apercevoir de ses souffrances. Quant au juge, à bout de ressources, il trépignait et pensait que les chrétiens s'étaient organisé en quelque endroit pour eux-mêmes une ville ennemie des Romains. Il faisait multiplier les tortures et cherchait avec soin ladite ville et cette contrée de l'Orient. [13] Après avoir 269 longtemps encore fait déchirer le jeune homme avec des fouets, il le voit inébranlable clans ses déclarations premières, il porte contre lui la sentence de mort par décapitation. Voilà quel drame fut l'affaire de celui-ci. Pour le reste des Égyptiens, le gouverneur les fit exercer à des luttes analogues et mourir de la même façon.
[14] Il en vint ensuite aux compagnons de Pamphile. Il savait qu'ils avaient auparavant déjà fait l'épreuve de nombreuses tortures, et il pensait qu'il était absurde d'inlliger les mêmes tourments encore à ces hommes et de se fatiguer en vain. Il leur demandait seulement 271 ceci : s'ils voulaient maintenant obéir, et il entendit de chacun la parole suprême de leur témoignage ; il porte pareillement contre eux une sentence de décapitation.
[15] II n'avait pas achevé de parler, que se mit à pousser un cri un adolescent serviteur de la domesticité de Pamphile ; il sortit de la foule qui faisait cercle autour du tribunal et s'avançant; il cria à haute voix pour demander les corps afin de les ensevelir. C'était le bienheureux Porphyre, digne élève de Pamphile. Il n'avait pas dix-huit ans révolus, il était habile dans l'art de la calligraphie et, en ce qui concerne la modestie et les mœurs, il éclipsait tous les éloges, comme il était juste, étant formé par un tel homme. Dès qu'il connut la sentence rendue contre son maître, du milieu de la foule, il se mit à crier, pour demander que les corps fussent ensevelis dans la terre. [16] Le juge, alors ne fut plus un homme, mais une bête plus féroce que toutes les autres ; il n'accueillit pas ce qu'avait de raisonnable 273 cette requête, non plus qu'il ne pardonna à l'âge du jeune homme. Il ne sut qu'une chose : qu'il confessait le Christ, et il ordonna aux bourreaux de faire usage contre lui de toute leur force. [17] Dès que l'admirable enfant eut refusé d'obéir à l'ordre de sacrifier, ce ne fut pas comme une chair humaine, mais comme de la pierre ou du bois ou quelque chose d'inanimé, qu'il ordonna de le tourmenter jusqu'aux os mêmes et aux entrailles profondes et de déchirer tout son corps. On fit cela longtemps, et le juge reconnut que son entreprise était vaine. Le corps du généreux martyr était, peu s'en fallait, sans voix et sans vie. [18] Mais le juge avait la dureté et l'inhumanité tenaces. Il 275 ordonne en outre de lui gratter et frotter les lianes dont la peau avait été enlevée dans les tortures avec des tissus faits de crins; ensuite, comme s'il eût été rassasié et que sa frénésie eût été satisfaite, il le condamne à être jeté dans un feu lent et modéré. Celui-ci donc avant l'achèvement du martyre de Pamphile, venu le dernier au combat, devançait son maître dans la mort du corps.
[19] II fallait voir Porphyre dans l'attitude d'un vainqueur aux jeux sacrés après tous les combats, le corps couvert de poussière, mais le regard brillant. C'était avec une résolution courageuse et fière qu'il marchait à la mort, vraiment rempli de l'Esprit divin. Il était vêtu d'un habit de philosophe et il le portait à la façon d'un manteau. Il regardait de haut et méprisait 277 tout à fait la vie mortelle et humaine ; c'est avec une âme qui ne tremble pas qu'il allait vers le bûcher. Déjà la flamme approchait de lui ; mais, comme s'il n'y avait pour lui aucun motif de se chagriner, avec une décision froide et calme, le héros donnait à ses amis les instruction concernant ce qui lui appartenait et gardait jusque dans ce moment un visage joyeux et serein. Dès qu'il eut pris suffisamment congé de ses amis, pour le reste il se hâta vers Dieu. Comme le bûcher avait été allumé autour de lui à distance, de côté et d'autre il aspirait la flamme avec la bouche ; il se hâtait vers le voyage fixé et faisant cela il n'invoquait personne autre que Jésus.
Tel fut encore le combat de Porphyre. [20] Le messager qui apprit à Pamphile la consommation de son martyre est Séleucus ; il est jugé digne de partager 279 sans délai le sort des autres. Au moment en effet où il annonçait la fin de Porphyre et saluait un des martyrs avec un baiser, les soldats le prennent et le conduisent au gouverneur. Celui-ci, comme s'il eût hâte de le faire devenir le compagnon de roule de ceux qui étaient en avant, ordonne de lui infliger la peine capitale. [21] Séleucus venait du pays des Cappadociens. Il avait une très brillante réputation parmi ceux qui étaient aux armées et entre les titulaires des dignités romaines, il n'avait pas obtenu un rang médiocre. De plus, par son âge lui-même, la vigueur de son corps, sa haute stature, l'énergie de sa force, il dépassait de beaucoup tous les autres. Sa prestance 281 était admirée de tous et toute son attitude à cause de sa taille et de sa bonne mine attirait la sympathie. [22] Il est vrai qu'au début de la persécution, il avait été remarqué par sa constance sous les fouets, dans les luttes de la confession ; puis, après son départ de l'armée, il se fit l'émule des ascètes de la religion et se montra un vrai soldat du Christ. Pour les orphelins abandonnés, pour les veuves sans appui, pour ceux qui souffraient de la pauvreté et de la misère, il s'occupait d'eux comme un évêque et un curateur diligent. ; ainsi qu'un père soigneux, il prenait sur lui les peines et les souffrances de tous ceux qui étaient opprimés. C'est vraisemblablement pour cela que par Dieu, qui se réjouit de telles actions plus que des sacrifices offerts au milieu de la fumée et du sang, il fut jugé digne de la consommation du martyre. [23] 283 C'était le dixième athlète avec ceux dont nous avons parlés qui acheva son martyre dans une seule et même journée où, comme il semble, grâce au martyre de Pamphile une porte des cieux s'étant ouverte très grande, l'entrée du royaume de Dieu fut avec lui facile et aisée.
[24] Sur la trace de Séleucus s'avança Théodule, vénérable et pieux vieillard, honoré de la première charge dans la maison du gouverneur à cause de ses mœurs et de son âge, il était le père de trois générations, et plus encore pour le dévouement qu'il avait gardé envers les gens de la famille. Il avait, lui aussi, fait quelque chose d'analogue à Séleucus et avait salué avec un baiser quelqu'un des martyrs. Il est 285 amené devant son maître, celui-ci en est excité à la colère, plus encore que par les autres, et Théodule livré à la croix reçoit le même martyre que le Sauveur dans sa passion.
[25] Après ceux-ci, il en manquait un pour compléter le nombre douze avec les martyrs nommés ci-dessus, Julien était là pour le finir. A celte heure même il revenait d'un voyage et n'était pas encore entré dans la ville, il apprend de quelqu'un [ce qui se passe], et aussitôt, tel qu'il était à la suite de sa route, il se hâte pour voir les martyrs. Quand il aperçoit gisant à terre les corps des saints, il est rempli de joie, embrasse chacun d'eux et les salue tous d'un baiser. [26] Il le faisait encore qu'il est saisi par les ministres de la mort 287 qui l'amènent au magistrat. Celui-ci agit conformément à son parti pris et le fait livrer à un feu lent. Ce fut ainsi que Julien bondissant et transporté de joie, rendant à haute voix grâces à Dieu qui l'avait jugé digne de tels héros, fut reçu dans les chœurs des martyrs. [27] Il était lui aussi de la race des Cappadociens ; son caractère était plein de prudence, et plein de foi ; c'était un homme doux et indulgent, zélé au reste et exhalant la bonne odeur du Saint-Esprit. Telle était la troupe des compagnons de route qui furent jugés dignes de la consommation du martyre avec Pamphile. [28] Pendant quatre jours et autant de nuits, par ordre de Firmilien, les corps très saints des martyrs de Dieu furent gisants à terre pour être la proie des animaux carnassiers. Mais 289 comme il ne vint à eux ni bêle sauvage, ni oiseau, ni chien, et que, par la Providence de Dieu, ils étaient demeurés saufs et intacts, ils obtinrent l'honneur et les funérailles qui convenaient, et furent mis selon la coutume dans le tombeau. Ils furent déposés dans les splendides demeures des temples et exposés dans les saintes maisons de prières pour une impérissable mémoire ; afin d'être honorés par le peuple de Dieu.