CHAPITRE VII (version brève)
[1] La persécution contre nous allait atteindre déjà sa cinquième année. On était au second jour du mois de Xanthique, qui est le quatre avant les noues d'avril et le dimanche même de la Résurrection de notre Sauveur. A Césarée encore, Théodosie, vierge de Tyr, jeune fille fidèle et digne de tout respect, n'ayant pas encore dix-huit ans accomplis, va trouver des prisonniers qui confessaient eux aussi le règne du Christ et qui étaient assis devant le tribunal. Elle y allait par bienveillance et aussi, comme il est naturel, elle leur demandait de se souve- 219 nir d'elle, quand ils seraient auprès du Seigneur. [2] Tandis qu'elle faisait cela, comme si elle avait accompli un acte d'impiété et d'irréligion, les soldats la saisissent et la conduisent au gouverneur. Aussitôt celui-ci, ainsi qu'un forcené et transporté de la plus féroce colère, lui inflige des tortures terribles et qui font absolument frémir; il lui fait déchirer les flancs et les seins jusqu'aux os. Elle respirait encore, et, même après tout cela, avait le visage joyeux et souriant; le magistrat ordonne qu'on la jette dans les flots de la mer. Passant ensuite au reste des confesseurs, il les condamne tous aux mines de cuivre de Phéno en Palestine.
[3] A cette époque, le cinq du mois de Bios, et selon les Romains aux nones de novembre, dans la même ville, les compagnons de Silvain, alors prêtre et con- 221 fesseur, qui fut peu après honoré de l'épiscopat et termina sa vie par le martyre, firent preuve d'une très généreuse constance pour la religion et furent condamnés par le même gouverneur aux travaux des mêmes mines de cuivre. On leur brûla d'abord les articulations des pieds, qui furent ainsi mis hors de service, et cela par son ordre. [4] Au temps même de cette sentence, un homme s'était distingué par mille autres confessions ; il s'appelait Domninus. Son extraordinaire liberté l'avait fait connaître de tous les gens de Palestine. Il fut livré au supplice du feu. Après lui, le même juge, qui était un terrible inventeur de tourments et de nouveaux procédés d'attaque contre la doctrine du Christ, imaginait contre les hommes pieux des châtiments dont jamais on n'avait entendu parler. Il condamna d'abord trois d'entre eux à lutter comme des gladiateurs au pugilat. Quant à Auxence, vénérable et saint vieillard, il le livra aux bêtes pour être dévoré. D'autres encore, ayant âge d'hommes faits, furent rendus eunuques et condamnés aux mêmes mines. D'autres également, après de rudes tortures, furent enfermés dans une prison. Parmi eux, était Pamphile, entre tous mes amis le plus cher, et 223 parmi les martyrs de notre époque, à cause de toute sa vertu, le plus glorieux. [5] Urbain l'éprouve d'abord dans les connaissances littéraires et les sciences philosophiques ; puis, il en vient à le contraindre à sacrifier. Quand il voit qu'il refuse et qu'il ne tient pas du tout compte des menaces, exaspéré au plus haut point, il donne l'ordre de le tourmenter en de très rudes tortures: [6] Et cet homme très féroce après s'être pour ainsi dire enivré des souffrances qu'on lui infligeait au moyen des ongles de fer appliqués aux flancs avec une persévérance opiniâtre, et après avoir du reste fait par dessus tout retomber la honte sur lui, l'enrôle lui aussi au nombre des confesseurs qui étaient en prison.
[7] De quel retour sa cruauté envers les saints sera payée par la justice divine, après qu'il se fût livré aune telle ivresse de fureur contre les martyrs du Christ, il est facile de le savoir d'après ce qui commença à se produire alors. Bientôt et peu après ce qui fut entrepris contre Pamphile, tandis qu'Urbain était encore 225 dans sa charge de gouverneur, la justice de Dieu se mit à le presser, si bien que tout à coup celui qui hier jugeait du haut d'un tribunal élevé, celui qui était escorté d'une garde de soldats et commandait à tout le peuple de Palestine, qui était le compagnon le plus cher et le commensal du tyran lui-même, fut dépouillé par elle en une seule nuit. Elle le laissa privé de tant de dignités et elle versa le déshonneur et la honte sur ceux qui l'avaient autrefois admiré comme chef. Elle le fit paraître comme un lâche et un homme vil, qui à la façon des femmes poussait des cris et des supplications devant tout le peuple auquel il avait commandé. Et Maximin lui-même, dont il se prévalait autrefois avec arrogance comme de quelqu'un qui l'aimait extrêmement à cause de ce qu'il faisait contre nous, fut établi par Dieu comme un juge dur et très cruel à Césarée même, si bien qu'il porta contre lui une sentence de mort, après l'avoir accablé de honte pour les méfaits dont il était convaincu. [8] Cela soit dit en passant. Il pourra se produire une occasion favorable dans laquelle nous traiterons à loisir de la fin et dé la mort des impies qui ont le plus combattu contre nous, et de Maximin lui-même, ainsi que de ses aides.
CHAPITRE VII (version longue)
[Le même troisième mois, martyre de Théodosie, vierge, lors de la cinquième année de la persécution contre nous, le quatre avant les nones d'avril, à Césarée de Palestine.]
[1] C'était déjà la cinquième année que durait la persécution contre nous ; on était au second jour du mois de Xantique ,ce qui serait le quatre avant les nones d'avril, une vénérable et tout à fait sainte jeune fille de Tyr avait consacré sa virginité au Fils de Dieu ; elle n'avait pas encore dix-huit ans. Des confesseurs de Dieu enchaînés étaient assis devant les tribunaux du gouverneur et devaient incessamment comparaître devant le juge ; elle s'approche d'eux avec bienveillance et leur demande de se 219 souvenir d'elle, lorsqu'ils seront au but. [2] Tandis qu'elle faisait cela, comme si elle avait accompli un acte interdit ou impie, elle est saisie par les soldats et sur-le-champ conduite à Urbain ; car alors il exerçait, encore le pouvoir en Palestine. Celui-ci, ressentit je ne sais quoi, comme s'il avait été très grandement offensé par cette jeune fille, et fut subitement rempli de colère et de rage. Il lui ordonne de sacrifier, et comme il la voit faire signe que non, alors cet homme très brutal, surtout pour celle-ci, lui fit appliquer des tortures terribles aux flancs et aux seins. Cet être sans pitié les fit pousser jusqu'aux os eux-mêmes et aux entrailles. Il s'obstinait à se venger de cette enfant qui recevait ces tourments en silence. Elle respirait encore, quand il lui demanda de 221 sacrifier et l'y exhorta. Celle-ci alors ouvrit la bouche et le regarda d'une façon fixe et prolongée, avec un visage souriant (la beauté de son âge était dans sa fleur). «Pourquoi, dit-elle, t'égarer, ô homme ? ne sais-tu pas que j'ai maintenant obtenu ce que je demandais, puisque je suis jugée digne d'être unie aux martyrs de 223 Dieu ? » Quand celui-ci se vit devenu la risée de celle jeune fille, sans avoir désormais la possibilité de la tourmenter par des supplices plus grands que précédemment, il la condamne à être jetée dans les abîmes de la mer. Alors s'éloignant d'elle, il vint au reste des confesseurs à cause desquels il lui avait fait ce qui vient d'être dit et tous en bloc, il les envoya aux mines de cuivre de Palestine, sans rien leur dire, sans leur faire aucune violence. La jeune fille avait été la pre- 225 mière au combat; elle avait reçu les coups qui leur étaient destinés ; elle avait énervé la cruauté du juge par la vigueur et la force de son âme, puis elle l'avait rendu même pusillanime pour ceux qui restaient. C'était un dimanche que se sont passées ces choses à Césarée, au mois cité plus haut et dans l'année indiquée.