CHAPITRE XIII : LES CHEFS D'EGLISES ONT MONTRE LA VERITE DE LA RELIGION QU'ILS PRECHAIENT, PAR Λ'EFFUSION DE LEUR SANG
[1] Parmi les chefs d'église qui ont rendu témoignage dans les villes célèbres, le premier sur la liste des saints qui doit être proclamé par nous martyr du royaume du Christ est Anthime, évêque de la ville de Nicomédie, qui eut la tête tranchée; [2] puis, parmi les martyrs d'Antioche, Lucien, qui pendant toute sa vie fut un prêtre excellent de l'église de ce pays ; à Nicomédie, en présence de l'empereur, il prêcha hautement le royaume céleste du Christ, d'abord dans un discours sous forme d'apologie, et ensuite par ses œuvres.
[3] Parmi les martyrs de Phénicie, les plus célèbres seraient les hommes tout à fait chers à Dieu, qui étaient les pasteurs des brebis spirituelles du Christ : Tyrannion, évêque de l'église de Tyr ; Zénobius, prêtre de celle de Sidon, et encore Silvain, évêque des églises de la contrée d'Émèse. [4] Celui-ci devint, avec d'autres, la pâture des bêtes dans Émèse même, et il fut reçu dans les chœurs des martyrs. Les deux autres, à Antioche, donnèrent gloire à la parole de Dieu par une constance qui alla jusqu'à la mort; l'un fut jeté dans les abîmes de la mer, c'était l'évêque ; l'autre, Zénobius, médecin excellent, mourut courageusement dans les tourments qu'on lui infligea sur les flancs.
[5] Parmi les martyrs de Palestine, Silvain, évêque des églises qui sont autour de Gaza, eut la tête tranchée aux mines de cuivre de Phéno, avec trente-neuf autres. Là aussi Pelée et Nil, évêques égyptiens, subirent avec d'autres la mort par le feu. [6] Il nous faut aussi mentionner parmi eux, la grande gloire de l'église de Césarée, le prêtre Pamphile, le plus admirable de nos contemporains ; nous décrirons en son temps le mérite de ses exploits.
[7] Parmi ceux qui moururent glorieusement à Alexandrie, dans toute l'Egypte et la Thébaïde, il faut citer, en premier lieu, Pierre, l'évêque de cette Alexandrie, type divin des docteurs de la religion chrétienne, et, parmi les prêtres qui étaient avec lui, Faustus, Dius et Ammonius, martyrs parfaits du Christ, puis Philéas e Hésychius et Pachymius et Théodore, évêques des églises de l'Egypte, et en outre des milliers d'autres chrétiens illustres dont on garde la mémoire dans les églises de leurs pays.
Laisser par écrit les combats qu'ils ont. livrés dans toute la terre pour la religion de la divinité, comme aussi raconter dans le détail chacune des épreuves qui leur sont arrivées n'est pas notre affaire, mais elle serait en propre celle des gens qui ont vu les choses de leurs yeux. Quant aux martyrs auprès desquels j'ai vécu, 477 je les ferai connaître encore à nos contemporains dans un autre écrit. [8] Dans l'ouvrage présent, j'ajouterai à ce qui a été dit, le désaveu des entreprises dirigées contre nous, et les événements survenus depuis le début de la persécution ; ce sera très utile aux lecteurs.1
[9] En effet, en ce qui concerne l'administration des Romains, avant la guerre faite contre nous, pendant tout le temps que les dispositions des princes furent amicales et pacifiques à notre égard, quelle fécondité et abondance de richesse n'a-τ-on pas constatée ? quel discours pourrait suffire à le raconter? Lorsque les chefs suprêmes de l'univers avaient accompli la dixième ou la vingtième année de leur règne, c'était en des fêtes, des panégyriques, des banquets très brillants et des festins joyeux qu'ils l'achevaient au milieu d'une paix entière et bien établie. [10] Leur puissance, sans rencontrer d'obstacle, augmentait et devenait chaque jour plus grande, quand, tout d'un coup, ils firent cesser la paix envers nous et provoquèrent une guerre sans trêve. La seconde année d'un pareil bouleversement n'était pas achevée pour ceux, que quelque chose de nouveau dans tout l'empire se produisit qui bouleversa toutes les affaires. [11] Une maladie de mauvais augure s'abattit sur le premier de ceux dont nous parlons; grâce à elle, son intelligence allait à la folie ; il rentra, avec celui qui occupait le second rang après lui, dans la vie privée des simples citoyens. Cela n'était pas encore un fait accompli que l'empire entier fut divisé en deux, chose d'ailleurs qu'on n'a jamais mentionnée comme s étant autrefois produite.[^2]
[12] Il s'écoula peu de temps et l'empereur Constance, 479 qui avait eu pendant toute sa vie les dispositions les plus douces et les plus bienveillantes pour ses sujets et les plus amicales à l'égard de la doctrine divine, laissa à sa place son digne fils Constantin, Empereur et Auguste, puis acheva sa vie selon la commune loi de la nature. Le premier [des quatre empereurs], il fut proclamé dieu parmi eux et jugé digne après sa mort de tout l'honneur qu'on puisse réserver à un empereur; il avait été le plus débonnaire et le plus doux des princes. [13] Seul parmi ceux de notre temps, il observa une attitude digne du pouvoir suprême ; pendant toute la durée de son règne il se montra au reste pour tous très aimable et très bienfaisant, sans jamais prendre aucune part à la guerre faite contre nous, mais il garda même les hommes religieux, qui étaient sous son autorité, exempts de dommage et de vexation; il ne renversa pas les édifices des églises et n'innova rien contre nous ; la fin de sa vie fut heureuse et trois fois bénie. Seul il mourut dans son empire doucement et glorieusement, ayant auprès de lui un héritier digne de lui, un fils qui était en tout très sage et très pieux.
[14] Son fils, Constantin, fut tout d'abord aussitôt proclamé Empereur très parfait et Auguste, par les légions et aussi, bien avant elles, par Dieu lui-même, le Roi suprême ; il s'attacha à imiter la religion de son père à l'égard de notre doctrine ; tel fut Constantin. Licinius, d'autre part, à cette époque, fut proclamé, par le suffrage commun des empereurs, autocrate et Auguste.2
[15] Ce fut un terrible chagrin pour Maximin, jusque-là il ne prenait encore auprès de tous que le nom de 481 César. Comme il était tout à fait despote, il s'adjugea frauduleusement la dignité impériale et fut Auguste; il s'était fait cela lui-même. Sur ces entrefaites fut surpris ourdissant une machination de mort contre Constantin, celui qu'on a vu reprendre sa charge après s'en être démis; il périt d'une mort très honteuse. Il fut le premier [des empereurs] dont on détruisit les inscriptions honorifiques, les statues et toutes autres marques d'honneur qu'on a coutume de décerner; on le traita comme un homme infâme et très impie.3
[^2] Cette partie du chapitre est rendue peu intelligible par des corrections incomplètes de la dernière recension que fit Eusèbe de son oeuvre. Voy. les notes de Schwartz.— Maximien Hercule célébra tout le mois d'avril 305, à Milan, ses uicennalia; après quoi, il abdiqua, le 1er mai, en même temps que Dioclétien près de Nicomédie. Galère et Constance Chlore, Césars, devinrent Augustes; Flavius Severus et Maximin Daïa, Césars; Constantin est César désigné.Constance Chlore ne mourut que le 25 juillet 306.
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τὸν παρόντα λόγον MCGIFFERT remarque que λόγος partout ailleurs désigne un livre de l'Histoire ecclésiastique, et non l'ouvrage entier. Ici Eusèbe annonce le De martyribus. Il ne pensait donc encore pas aller plus loin que l'édit 553 de tolérance de Galère. ↩
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Galère fit Auguste, en remplacement de Flavius Severus, Licinius, en présence de Dioclétien et de Maximien Hercule, ce qui explique ὑπὸ κοινῆς ψήφου τῶν κρατοπυντων le 11, nov. 307. ↩
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Maximin Daïa se fait proclamer Auguste par son armée au commencement de 308. Celui que l'on a vu reprendre sa charge, après s'en être démis, est Maximien Hercule, qui tenta deux fois de détrôner son fils, Maxence,se fit proclamer Auguste trois fois,et, après avoir été épargné par Constantin, se fit surprendre dans un complot contre lui et fut obligé de se donner la mort, au commencement de 310.— Ce que dit Eusèbe dans la dernière phrase est une erreur : la mémoire d'autres empereurs avait été abolie. ↩