37.
Mais voulez-vous connaître quels motifs portaient l'Apôtre à recommander le célibat aux veuves, consultez l'expérience et l'opinion publique. Sans doute nos lois ne condamnent point les secondes noces, elles les autorisent même; et néanmoins celui qui se les permet, devient pour ses amis et pour le public le sujet d'une amère raillerie. On le regarde comme un parjure et on l'évite comme un ami déloyal, on hésite à lui confier un dépôt, et l'on craint de contracter avec lui un engagement quelconque. En effet, quand on le voit rejeter si facilement de son coeur le souvenir d'un noeud aussi fort, d'une liaison aussi intime, d'une communauté aussi étroite que le mariage , peut-on ne pas s'indigner de sa conduite, et ne point le considérer comme un homme léger et versatile ! Mais parlerai-je de l'indécence qui accompagne les secondes noces? Voici que soudain la joie bruyante et les apprêts de l'hymen succèdent aux larmes, aux soupirs, aux gémissements, aux habits de deuil, et à tout l'appareil de la douleur; on croirait presque assister à une de ces représentations théâtrales, où le même acteur est tantôt un roi opulent, et tantôt un malheureux esclave. N'est-ce pas ainsi que cet homme, qui hier, dans sa douleur, se roulait sur un tombeau, s'avance aujourd'hui en grande pompe vers l'autel. Hier, il s'arrachait les cheveux, et aujourd'hui il se couronne de fleurs. Hier, triste et abattu, il répétait à tous l'éloge d'une épouse chérie , refusait de lui survivre, et repoussait même avec indignation toute parole de consolation; mais voilà qu'aujourd'hui il paraît au milieu de ces mêmes amis tout rayonnant de plaisir et de joie. Ses yeux, naguère pleins de larmes, brillent du feu de la gaieté, et ses lèvres qui tout à l'heure juraient de ne plus s'ouvrir qu'à la plainte et à la douleur, sourient gracieusement à tous, et ne savent plus articuler que l'expression de la joie et du bonheur.
Mais si cet homme a des enfants de sa première épouse, la présence d'une seconde introduit fatalement la guerre et la discorde au sein de la famille. Qu'est-ce qu'une belle-mère pour des filles d'un premier lit? une tigresse. Ce sont en effet chaque jour contre la première épouse des critiques nouvelles et des récriminations nouvelles. La jalousie qui nous divise pendant la vie, s'apaise ordinairement en face d'un tombeau, mais une seconde épouse s'acharne contre une froide poussière et une cendre inanimée, en sorte que sa haine, ses outrages et ses calomnies poursuivent sa rivale jusque sous la pierre sépulcrale : comment caractériser une conduite si insensée et si barbare ? Cette nouvelle épouse ne peut pas se plaindre que la première lui ait causé aucun tort, ni aucun mal : que dis-je ? elle jouit de ses biens et du fruit de ses travaux; n'importe, elle s'acharne sur une ombre, et, cent fois le jour, maudit celle dont elle n'a reçu aucune offense, et que peut-être elle n'a jamais connue. Enfin elle fait retomber sur les enfants une vengeance qui ne peut atteindre leur mère, et elle force un époux trop complaisant à servir ses cruels ressentiments.
Il se rencontre cependant des personnes qui affrontent les périls d'une telle situation, afin d'y trouver un abri contre la tyrannie de leurs propres passions. Mais la vierge ne craint pas d'engager le combat contre ces mêmes passions, elle ne refuse pas une lutte qui paraît si difficile à la plupart des chrétiens, elle s'arme donc de courage, et résiste énergiquement aux assauts de la chair. Aussi son mérite est-il au-dessus de nos éloges. Tandis que d'autres cherchent dans un second mariage un remède contre les ardeurs de la concupiscence, la vierge se maintient, même sans le secours d'un premier mariage, toujours pure, et toujours chaste. N'oublions pas toutefois qu'il est au ciel une récompense spécialement réservée aux veuves. C'est pourquoi l'Apôtre leur dit au nom de Jésus-Christ: Il vous est bon de demeurer dans cet état comme moi. Vous n'avez pu atteindre le premier rang d'honneur dans la sainte virginité, du moins ne désertez pas le second. La vierge chrétienne n'a jamais connu l'ascendant de la chair et du sang, vous qui l'avez éprouvé, renoncez à l'éprouver de nouveau. La vierge a toujours triomphé, vous qui avez été une fois vaincue, faites que désormais la profession d'une même chasteté réunisse celles qu'une carrière différente avait d'abord séparées.