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La frugalité n'a rien à craindre de ces terribles maladies, et elle est la mère d'une heureuse santé. J'ajoute même que si vous cherchez le plaisir, vous l'y trouverez bien plus que dans l'intempérance. Elle est en effet un préservatif assuré contre ces maux innombrables qu'enfante la débauche, et dont un seul suffit pour ruiner toutes les jouissances possibles. De plus, en aiguisant l'appétit, elle sait rendre nos repas délicieux ; or, l'appétit est un fruit de la frugalité, et non de la satiété; c'est à la table du pauvre, et non à celle du riche qu'il vient assaisonner une nourriture commune bien mieux que les plus habiles cuisiniers. Le riche s'étudie à prévenir les besoins de la faim et de la soif, et même la nécessité du sommeil : mais le pauvre, qui ne cède qu'aux cris de la nature, trouve un plaisir réel à la satisfaire. C'est ainsi que Salomon vante la douceur du sommeil de l'esclave. Il s'endort avec délices, dit-il, qu'il ait beaucoup ou qu'il ait peu mangé. (Ecclé. V, 11.) Est-ce que l'esclave repose sur une couche délicate? le plus souvent son lit est la terre nue, ou un peu de paille. Est-ce qu'il est libre pendant son sommeil? mais il sait bien qu'aucun instant de la nuit comme du jour ne lui appartient. Est-ce enfin parce qu'il peut se promettre désormais une condition plus tranquille? mais il n'ignore pas que sa vie entière ne doit être qu'une continuité de peines et de souffrances. Qui lui procure donc un si doux sommeil? le besoin de la nature qui l'y force impérieusement. Le riche, au contraire, ne connaît point d'autre repos que l'assoupissement de l'ivresse, et il ne trouve sur un moelleux duvet que l'agitation et la souffrance.