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C’est pourquoi nous devons avoir grand soin que la parole de Jésus-Christ habite en nous avec abondance (Col. III, 16); car nous avons à nous tenir prêts pour toutes sortes de combats; nous sommes en face d’ennemis divers, nombreux, qui ne se servent point des mêmes armes, ne suivent pas le même plan d’attaque. Il faut donc que celui qui veut en venir aux mains avec eux, connaisse toutes leurs différentes manières de combattre, qu’il sache également manier l’arc et la fronde, qu’il soit tour à tour fantassin et cavalier, soldat et capitaine, propre aux combats de mer comme aux attaques de places. Dans les combats ordinaires, il suffit, pour soutenir le choc de l’ennemi, que chacun se tienne à son poste; dans ceux dont nous parlons, il faut connaître à fond chacune des parties de l’art de l’attaque et de la défense. N’y eût-il qu’un endroit mal gardé, l’ennemi saura bien le découvrir et introduire dans la bergerie ses démons ravisseurs pour enlever les brebis : chose qu’il n’essaie même pas, s’il s’aperçoit qu’il a affaire à un pasteur vigilant, qui est au fait de ses artificieuses manoeuvres.
Il faut donc que nous soyons munis de toutes parts. Une ville entourée partout de bons remparts, se rit des efforts des assiégeants et vit dans une entière sécurité; mais qu’une brèche soit ouverte dans la muraille, seulement de la largeur d’une porte, tout le reste de l’enceinte n’est plus d’aucune utilité, fût-il d’ailleurs en très-bon état. Il en est de même de la cité de Dieu. Tant que la sollicitude et la prudence du pasteur y servent de rempart et d’enceinte, les entreprises de l’ennemi tournent à sa honte, et personne dans la ville n’est en danger; pour peu que la cité soit entamée, la chute d’une seule partie entraîne bientôt la ruine du tout.
Que servirait-il, en effet, d’avoir mis les Gentils en déroute , si les Juifs saccagent la place ? ou d’avoir triomphé des Gentils et des Juifs, si les Manichéens la livrent au pillage? Quel gain d’avoir vaincu les Manichéens, si les fatalistes viennent égorger les ouailles jusqu’au sein de l’Eglise? A quoi bon donner ici le catalogue complet des hérésies inventées par le Diable , et dont une seule, si le berger ne sait pas les repousser toutes, peut jeter une partie du troupeau dans la gueule du loup? A la guerre, il faut être présent sur le champ de bataille pour vaincre ou pour succomber; ici, il arrive souvent qu’un combat engagé entre d’autres, donne la victoire à un parti qui n’avait pas figuré au commencement de l’action, et qui, comme s’il était étranger à la querelle, était resté constamment assis sous sa tente. Ou bien, pour avoir négligé de s’exercer à l’avance, on se perce de ses propres armes, et l’on prête à rire à ses amis et à ses ennemis. Je vais éclaircir ma pensée par un exemple : Les sectateurs de la folie de Valentin et de Marcion, et les autres malades, dont l’affection est à peu près de la même espèce, retranchent du canon des divines Ecritures la loi donnée à Moïse par le Seigneur; d’autre part, les Juifs ont pour cette loi un si grand respect, qu’aujourd’hui, malgré l’abrogation qui en a été faite, ils soutiennent que l’on doit en garder tous les préceptes contre l’ordonnance du Seigneur lui-même; mais 1’Eglise de Dieu évitant l’un et l’autre excès, a pris le milieu; l’Eglise ne pense pas que l’on doive encore porter le joug de cette loi, mais elle ne souffre pas que l’on en dise du mal. (602)
Elle la préconise encore, quoique supprimée parce que c’est une loi qui a été utile durant tout le temps qu’elle fut en vigueur.
Pour combattre des ennemis si opposés entre eux, il faut donc garder un juste tempérament; car si, voulant enseigner aux Juifs que ce n’est plus le temps de pratiquer les cérémonies de cette loi ancienne, on commence par la critiquer sans ménagement, on donnera une prise terrible au hérétiques qui la rejettent absolument; si pour fermer la bouche à ceux-ci, on l’exalte outre mesure, comme s’il était encore nécessaire de l’observer au temps où nous sommes, on lâche la bride aux déclamations des Juifs. Des excès contraires ont également jeté hors de la vraie loi, les maniaques sectateurs de Sabellius, de même que les furieux Ariens. Les uns et les autres gardent le nom de chrétiens; mais quand on examine le fond de leurs doctrines on acquiert la conviction, qu’au nom près, les premiers ne valent pas mieux que les Juifs, et que les seconds se rapprochent fort de l’hérésie de Paul de Samosate: qu’au reste, les uns et les autres sont également éloignés de la vérité.
On court donc un grand danger dans les rencontres avec ces hérétiques, on marche sur un sentier étroit, escarpé et des deux côtés bordé de précipices. Il est à craindre qu’en voulant frapper un de ses adversaires, on ne se découvre aux coups de l’autre. En effet, si l’on avance que la divinité est une, aussitôt Sabellius exploite la proposition au profit de sa folle impiété: d’un autre côté si l’on distingue et que l’on dise qu’autre est le Père, autre est le Fils, autre est le Saint-Esprit, voici Arius qui, de la différence des personnes, conclut à la diversité de l’essence. Il faut rejeter également et la confusion impie de l’un, et la division non moins sacrilège de l’autre; on évite ces deux écueils en confessant que la divinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit est une, et en reconnaissant les trois Personnes ou Hypostases; c’est ainsi que nous pourrons nous faire un rempart contre la double attaque de nos ennemis. Je pourrais encore te signaler beaucoup d’autres rencontres, où l’on a besoin d’unir l’ardeur du courage à la précision des manoeuvres, sous peine de se retirer couvert de blessures.