1.
J’ai suffisamment démontré combien les combats livrés pour la défense de la vérité exigent d’habileté et d’expérience de la part de celui qui doit les soutenir. Néanmoins à ce que j’ai déjà dit sur le talent de la parole, j’ai encore quelque chose à ajouter; quelque chose qui est cause de dangers infinis, ou plutôt qui peut devenir, pour ceux qui s’en acquittent mal, l’occasion des plus grands dangers; car cette chose est en elle-même des plus salutaires et des plus avantageuses, quand elle est maniée par des hommes vertueux et capables. Je veux parler du travail plus ou moins considérable que le prédicateur emploie à la composition des discours qu’il fait en public.
La plupart des auditeurs ne veulent point se mettre dans les dispositions qui conviennent aux disciples à l’égard du maître qui les instruit. Trouvant le rôle de disciples trop au-dessous d’eux, ils croient s’élever en prenant celui des spectateurs de théâtres et de cirques. Et, comme dans ces spectacles du monde, la foule se partage en factions, les uns favorisant celui-ci, les autres celui-là; de même dans nos temples, se divisent les assemblées chrétiennes; et les uns sont pour un tel, les autres pour les autre; l’auditeur est déjà favorable ou hostile à l’orateur, avant même que celui-ci ait encore ouvert la bouche première difficulté ; en voici une autre non moins grande; pour peu qu’un prédicateur mêle à la trame de son discours quelque chose du travail d’un autre, il soulève contre lui plus de clameurs et d’insultes que s’il dérobait l’argent d’autrui. Souvent même, sans qu’il ait rien emprunté, et sur un simple soupçon non motivé, il est traité comme si on l’eût pris en flagrant délit de plagiat. Mais que parlé-je d’emprunts faits à d’autres? On ne lui permet pas même d’user, comme il l’entend et aussi souvent qu’il le voudrait, des fruits de son invention et de son travail. Car ce n’est pas leur utilité, mais leur agrément, que la plupart des auditeurs viennent chercher à ces discours, auxquels ils assistent, comme à une tragédie ou un concert, en qualité de juges. Il en résulte que l’espèce d’éloquence que je réprouvais tout à l’heure avec saint Paul , est encore plus (607) exigée dans la chaire évangélique, qu’entre des sophistes obligés de mesurer leurs forces.