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Ces derniers surtout, ceux qui n’ont pas le jugement droit, ne cessent jamais de se plaindre; et si l’on entreprend de se justifier, ils ne veulent rien entendre. Un pasteur fait bien de ne pas dédaigner les propos de cette classe d’hommes, de détruire leurs inculpations, en usant de bonté et de douceur, en pardonnant d’injustes reproches, au lieu d’en montrer de la colère et du ressentiment. Si saint Paul lui-même craignit d’être soupçonné de vol parmi ses disciples, si, pour ce motif, il s’adjoignit d’autres personnes pour contrôler l’emploi des sommes d’argent mises par les fidèles à sa disposition: Pour éviter, dit-il, que personne puisse nous faire des reproches au sujet de cette aumône abondante dont nous sommes les dispensateurs (II. Cor. VIII, 20), si saint Paul lui-même prend de telles précautions, que ne devons-nous pas faire pour anéantir les mauvais soupçons, si mensongers, si absurdes, si indignes de notre réputation qu’ils soient. Il n’y a certainement pas de péché dont nous soyons aussi éloignés, que saint Paul l’était du vol. Bien qu’il fût plus incapable de cette mauvaise action que qui que ce fût au monde, il ne laissa pas néanmoins de prévenir les soupçons du peuple, quelque déraisonnables, et quelque insensés qu’ils pussent être : car, évidemment, il y aurait eu de la démence à faire planer un tel soupçon sur une tête si sainte, si admirable. Néanmoins, un soupçon aussi absurde, et qui ne pouvait naître que dans te cerveau d’un insensé, lui parut mériter son attention au point de l’engager à supprimer tout ce qui pouvait en être le prétexte ou l’occasion. Il ne se crut point à couvert de cette imputation extravagante de la part du vulgaire. Il ne se dit pas à lui-même : Dans l’esprit de qui pourrait se glisser un pareil soupçon sur mon compte, moi qui, par mes miracles et par la sainteté de ma vie, me suis attiré les respects et l’admiration universels? Tout au contraire, il prévoit ce mauvais soupçon, il s’y attend, il en arrache jusqu’à la racine, ou plutôt il ne lui donne pas même le temps de germer. Pourquoi cela? Lui-même en donne la raison dans un autre endroit : Nous avons soin, dit-il, de faire le bien, non-seulement devant Dieu, mais aussi devant les hommes. (Rom. XII, 17.)
Telle, et même plus grande encore doit être notre attention, non-seulement à déraciner et à détruire les mauvais soupçons, lorsqu’ils s’élèvent, mais encore à les prévoir d’aussi loin qu’ils peuvent venir, pour supprimer à l’avance les prétextes qui les font naître, sans attendre qu’ils prennent de la consistance en passant par toutes les bouches. Car alors il n’est pas facile de les faire disparaître, c’est même très-difficile, pour ne pas dire impossible : j’ajoute qu’on ne peut guère l’entreprendre sans nuire à beaucoup de monde. Mais pourquoi vouloir épuiser un sujet inépuisable? Enumérer toutes les difficultés du saint ministère, ne serait pas une moindre entreprise que de mesurer la mer. Un homme serait venu à bout, chose impossible, de délivrer son âme de toutes ses infirmités naturelles, qu’il rencontrerait encore des difficultés infinies à guérir celles des autres; que sera-ce, s’il est malade lui-même? Vois-tu dans quel abîme de peines et de soucis il doit être plongé , et combien de tourments il est obligé de souffrir pour surmonter ses maux particuliers ainsi que les maux des autres?