5.
Ne croyez pas néanmoins qu’il suffise simplement d’être en butte à la médisance pour mériter d’être proclamés bienheureux ; le Seigneur ajoute deux conditions nécessaires, la première que les injures soient souffertes pour lui, la seconde qu’elles soient fausses. Sans ces deux conditions, on devient non pas bienheureux , mais très-malheureux de subir les médisances des hommes.
Considérez encore la récompense qu’il attache à cette béatitude ; « parce qu’une grande récompense, » dit-il, « vous est réservée dans les cieux. » Pour vous, quoique vous ne voyiez pas toutes les béatitudes se terminer par la promesse du royaume des cieux, ne vous découragez pas pour cela; car bien qu’elles diffèrent par les noms, ces récompenses se réduisent cependant tontes en effet au seul royaume des cieux. Lorsque Jésus-Christ dit que ceux qui pleurent seront consolés, que les miséricordieux recevront miséricorde, que ceux qui ont le coeur pur verront Dieu, et que les hommes de paix seront appelés les enfants de Dieu, c’est toujours le royaume du ciel qu’il désigne par toutes ces béatitudes différentes, puisque ceux qui les recevront jouiront indubitablement de ce royaume. Ne croyez donc pas qu’il ne soit que pour les pauvres d’esprit; il est pour ceux qui ont faim et soif de la justice; il est pour les doux, il est pour toue les autres sans exception. Telle est la récompense qu’il promet généralement à tous, afin que vous ne vous promettiez rien de terrestre ou de sensible. Car vous ne pourriez pas être « heureux, » si vous n’aviez qu’une récompense périssable, qui passerait avec cette vie, et s’enfuirait plus vite qu’une ombre. Mais après avoir dit, «une grande récompense vous est réservée dans les cieux, » il ajoute aussitôt cette autre consolation:
« Car c’est ainsi qu’ils ont persécuté les prophètes qui ont été avant vous (12).» Comme le royaume des cieux qu’il leur promet, était un bonheur qui n’était encore qu’en espérance , il les console par avance, en leur montrant l’union et la conformité qu’ils ont avec les prophètes, qui ont souffert avant eux ces traitements si injustes. Ne croyez pas, leur dit-il, que vous soyez ainsi persécutés par les hommes, parce que vous leur enseignerez des choses dangereuses et mauvaises ; ni qu’ils vous traitent de la sorte, parce que vous serez les auteurs de quelques dogmes faux et erronez. Ces mauvais traitements ne viendront pas de la mauvaise doctrine que vous publierez, mais de la mauvaise vie de ceux qui vous écouteront. Ces calomnies ne tomberont pas sur vous qui les souffrirez, mais sur. ceux qui vous les feront souffrir. Tous les siècles passés en sont témoins. Quand ils ont si maltraité les prophètes, qu’ils les ont bannis, qu’ils les ont lapidés, et qu’ils leur ont fait souffrir tant de maux: ils l’ont fait par une fureur injuste, et non point pour avoir découvert en eux quelque sentiment impie et contraire à la loi de Dieu. Ne vous troublez donc point de ces violences. Le même esprit qui animait leurs pères les animera encore.
Considérez comme il relève le courage de ses disciples en les rapprochant de Moïse et d’Elie , et les mettant sur le même rang. C’est ce que saint Paul fait en écrivant aux Thessaloniciens : « Vous êtes devenus les imitateurs des églises de Dieu, qui ont embrassé la foi de Jésus-Christ dans la Judée, puisque vous avez souffert les mêmes persécutions de vos concitoyens que ces églises ont souffertes de la part des Juifs, qui ont tué même le Seigneur Jésus, et leurs propres prophètes ; qui nous ont persécutés, qui ne plaisent point à Dieu, et qui sont ennemis de tous les hommes. » (I Thess. II, 14.) Telle est donc la pensée de Jésus-Christ. Dans les autres béatitudes il disait en général: « Heureux sont les pauvres ; heureux (116) sont les miséricordieux; » mais ici il détermine les personnes, et s’adressant spécialement à ses disciples, il leur dit : « Vous êtes bienheureux lorsque les hommes vous diront des paroles outrageuses, et qu’ils publieront toute sorte de mal de vous; » pour montrer que ce serait là particulièrement leur partage, et que les prédicateurs de l’Evangile devaient s’y attendre plus que tous les autres.
Il laisse encore entrevoir dans ces paroles sa grandeur et son égalité avec son père. Les prophètes, semble-t-il dire, ont souffert ces traitements à cause de mon Père; vous les souffrirez, vous autres, à cause de moi; et lorsqu’il dit: « Les prophètes qui ont été avant vous, » il montre qu’ils sont eux-mêmes devenus prophètes. Puis, pour leur faire comprendre que rien n’était pour eux plus utile ni plus glorieux que la persécution, il ne leur dit pas: Les hommes voudront mal parler de vous; ils voudront vous persécuter; mais je m’opposerai à eux, et je les empêcherai de le faire. Il veut que ses apôtres se mettent au-dessus de toute la malignité des hommes, non en n’étant point exposés à leurs médisances, mais en les souffrant avec courage, et en en faisant voir la fausseté par l’innocence et la sainteté de leur vie. Car l’un est bien plus glorieux que l’autre; car être frappé et ne pas ressentir les coups c’est bien plus que de n’être point frappé. C’est pour ce sujet que Jésus-Christ dit: « Car une grande récompense vous est réservée dans les cieux. »
Mais saint Luc nous apprend que Jésus-Christ s’est plus étendu en cet endroit, et a dit des choses qui peuvent nous consoler davantage. Car il ne dit pas seulement: bienheureux ceux qui souffrent l’injure à cause de Dieu, mais il dit encore malheur à ceux dont tout le monde dira du bien. « Malheur à vous, » dit-il, « lorsque tous les hommes diront du bien de vous.» (Luc VI,,26.) Cependant les hommes bénissaient les apôtres; mais non pas « tous. » C’est pourquoi Jésus-Christ ne dit pas: « Malheur à vous lorsque les hommes, » mais, lorsque « tous les hommes diront du bien de vous. » Car il est impossible que ceux qui sont véritablement vertueux soient loués de tous les hommes.
Jésus-Christ ajoute ensuite « Lorsqu’ils rejetteront votre nom comme mauvais, réjouissez-vous alors, et tressaillez de joie. » (Luc VI, 22) Il leur promet de les récompenser, non-seulement pour les périls et les mauvais traitements auxquels ils auront été exposés pour lui, mais encore pour les médisances et les calomnies qu’on aura publiées contre eux. C’est pourquoi il ne dit pas: Lorsqu’ils vous persécuteront et qu’ils vous tueront; mais « lorsqu’ils publieront faussement toute sorte de mal de vous.» Car il y a quelque chose dans les calomnies, qui pénètre plus avant dans nos coeurs, que ne font souvent les mauvais traitements même. Dans les dangers, nombre de consolations adoucissent la peine; c’est par exemple, la voix publique qui encourage l’athlète, qui l’applaudit, le couronne, et proclame son triomphe. Mais dans la calomnie nous perdons même toutes ces consolations. On ne se figure pas que c’est la plus poignante persécution; on s’imagine qu’il ne faut qu’une vertu médiocre pour la supporter avec patience, quoiqu’on en ait vu recourir au fatal lacet pour se soustraire au supplice d’une mauvaise réputation. Et pourquoi s’étonner qu’il en soit ainsi chez les autres hommes, quand on voit un Judas, ce traître, ce déhonté, ce scélérat qui s’était fait un front à ne plus rougir de rien, céder lui-même à l’infamie et se pendre plutôt que de la supporter plus longtemps.