5.
Que si cette loi eût été mauvaise, ou qu’elle eût eu un autre principe que Dieu, Jésus-Christ ne l’aurait pas voulu accomplir. Car s’il ne s’y fût assujéti que pour attirer les Juifs, et non pour montrer l’union de l’une et de l’autre loi, et la conformité que la nouvelle avait avec l’ancienne, pourquoi ne s’assujétissait-il pas de même aux superstitions des gentils, pour les inviter de la même manière? Cela nous fait voir que si la loi ancienne cesse de sauver les hommes, ce n’est pas qu’elle soit mauvaise, mais c’est que maintenant le temps est venu d’une vertu plus parfaite. Que si elle est moins parfaite que la loi nouvelle, il ne s’ensuit pas pour cela qu’elle soit mauvaise, puisque cette condamnation de la première retomberait même sur la seconde. Car si l’on compare la science de cette vie avec celle du ciel, elle n’est presque rien, et elle sera détruite, quand cette seconde nous sera donnée, « Lorsque nous serons dans l’état parfait, » dit saint Paul, «ce qui est imparfait sera aboli. »(I Cor. XIII, 10.) C’est ce qui est arrivé à la loi ancienne, à l’égard de la nouvelle. Cependant nous ne blâmons point la loi de grâce, quoiqu’elle doive cesser lorsque nous serons dans le ciel, « car alors ce qui est imparfait sera « aboli; » et nous ne laissons pas de reconnaître qu’elle est grande et très-relevée. Puis donc que les récompenses promises y sont plus grandes que dans l’ancienne, et que la grâce du Saint-Esprit y est plus abondante, c’est avec juste raison qu’on nous demande plus de vertu.
Car on ne nous promet plus une terre coulante de lait et de miel, ni une longue vieillesse, ni un grand nombre d’enfants, ni beaucoup de blé ou de vin, ou de grands troupeaux de brebis et de boeufs; mais le ciel même, et les biens dont on y jouit; l’honneur d’être les enfants adoptifs de Dieu, les frères du Fils unique du Père, les héritiers de sa gloire, de son royaume ; et d’une infinité d’autres biens. Saint Paul nous fait assez voir combien nous avons reçu plus de grâce que les Juifs, lorsqu’il dit: « Il n’y a donc point de condamnation pour ceux qui sont incorporés en Jésus-Christ, qui vivent et qui marchent non selon la chair, mais selon l’esprit; parce que la loi de l’esprit de vie qui est en Jésus-Christ, m’a délivré de la loi du péché et de la mort.» (Rom. VIII, 1.)
Après donc que Jésus-Christ a étonné les violateurs de la loi, et établi de si grandes récompenses pour ceux qui y obéiraient, et qu’il a montré ainsi que c’est avec justice qu’il exige plus de nous que des anciens, il commence enfin à rapporter cette loi nouvelle en la coca. parant avec l’ancienne. Il le fait pour montrer (131) deux choses; la première, qu’il n’était point contraire à la loi de Moïse; mais qu’il s’accordait avec elle en établissant ses règles; et la seconde, qu’il avait grande raison de faire cette nouvelle addition, et de perfectionner la loi ancienne. Pour voir ceci plus clairement, considérons avec soin les paroles de Jésus-Christ :
« Vous avez appris, dit-il, qu’il a été dit aux anciens : Vous ne tuerez point, et quiconque tuera, méritera d’être puni en jugement (21).» (Exod. XX.) Ces commandements, c’était lui-même qui les avait donnés, mais il n’en indique point ici l’auteur. Car s’il eût dit : Vous avez appris que j’ai dit aux anciens, on n’eût pu souffrir cette parole. S’il eût dit aussi : Vous avez appris que mon Père a dit aux anciens , et qu’il eût ajouté aussitôt Mais moi je vous dis, etc., il eût paru être plus grand que son Père, et se glorifier en parlant de la sorte. Il se contente donc de rapporter ce commandement, sans marquer particulièrement celui qui l’avait fait, et il leur montre que le temps était venu de leur renouveler ce précepte. Car en disant : « Il a été dit aux anciens, » il marque qu’il y avait longtemps que cette loi leur avait été donnée : ce qu’il dit pour exciter ses auditeurs à s’avancer à une vertu plus parfaite, comme si un maître disait à un enfant paresseux, pour l’exhorter à l’étude : Considérez combien il y a déjà de temps que vous êtes à assembler des syllabes. C’est ce que Jésus-Christ insinue ici par ce mot d’anciens, excitant les Juifs à s’avancer enfin à une vertu plus parfaite, comme s’il leur disait : Il y a déjà longtemps que vous devez avoir appris ces préceptes, il est temps maintenant que vous passiez à d’autres plus relevés.
Mais il est à remarquer que Jésus-Christ ne confond pas même l’ordre des préceptes, et qu’il commence par où la loi même commençait, pour montrer la parfaite conformité de ces deux lois.
«Mais moi je vous dis que quiconque se mettra en colère sans sujet contre son frère méritera d’être condamné en jugement (22).» Remarquez dans ces paroles la puissance de celui qui les dit. Considérez l’autorité avec laquelle il agit, et comme il parle en législateur. Car qui d’entre les prophètes, qui d’entre les. justes ou les patriarches a jamais parlé de la sorte? Ils commençaient par ces mots: « Voici ce que dit le Seigneur. » Mais le Fils de Dieu n’agit pas ainsi. Ils parlaient en serviteurs, et comme de la part de leur Maître; mais Jésus-Christ parle en Fils de Dieu, et de la part de son Père. Et lorsqu’il parle de la part de son père, il parle en même temps de la sienne; puisqu’il dit lui-même à son Père : « Tout ce qui est à moi est à vous; et tout ce qui est à vous est à moi. » (Jean, XVII, 10.) Les prophètes parlaient à des hommes, qui comme eux étaient serviteurs du même Maître mais Jésus-Christ parle à ses propres serviteurs.