4.
Il me semble encore que par là il défend tes longues prières. Mais j’appelle longues prières celles qui le sont, non par le temps, mais par la multitude des paroles. Car il est bon de persévérer longtemps à demander à Dieu une même chose. «Soyez assidus à l’oraison (Coloss. IV, 14),» dit saint Paul. Et lorsque Jésus-Christ nous propose l’exemple de cette veuve qui fléchit par l’assiduité de ses prières la dureté d’un juge cruel et impitoyable, et celui d’un homme qui vient trouver son ami au milieu de la nuit, et qui obtient de lui non tant par amitié que par importunité qu’il se lève, et qu’il lui donne ce qu’il lui demande; il ne nous ordonne autre chose que de nous présenter continuellement devant lui, non pour lui offrir une prière longue et étendue en paroles, mais pour lui exposer simplement notre besoin. C’est ce qu’il exprime cri disant que « les païens s’imaginent qu’à force de paroles ils obtiendront ce qu’ils demandent. C’est pourquoi, » ajoute-t-il, « ne vous rendez pas semblables à eux, car votre Père sait de quoi vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez. » S’il sait ce dont nous avons besoin, dites-vous, pourquoi le lui demander? Ce n’est pas pour l’en instruire, mais pour le toucher; afin que vous acquériez avec lui une divine familiarité par le commerce continuel que vous avez avec lui dans vos prières; afin que vous vous humiliiez devant lui, et que vous vous souveniez souvent de vos péchés.
« Voici donc comme vous prierez : Notre Père qui êtes dans les cieux (9).» Voyez comment il relève d’abord les esprits, et rappelle en notre mémoire toutes les grâces que nous avons reçues de Dieu. En nous apprenant à appeler Dieu « notre Père, » Il marque en même temps (161) par ce seul mot la délivrance des supplices éternels, la justification des âmes, la sanctification, la rédemption, l’adoption au nombre des enfants de Dieu, l’héritage de sa gloire qui nous est promis, l’association à son Fils unique; et enfin l’effusion de son saint Esprit. Car il est impossible à celui qui n’a pas reçu tous ces biens, d’appeler avec vérité Dieu « son Père. » II nous attire donc à. Dieu par deux considérations très puissantes par la majesté de celui que nous invoquons, et par la grandeur des dons que nous en avons reçus. Quand il dit que « Dieu est dans les cieux, » ce n’est pas comme pour le berner et l’y renfermer; mais pour retirer de la terre l’esprit de celui qui prie et pour l’attacher au ciel.
Il nous apprend encore à faire nos prières en commun pour tous nos frères. Car il ne dit pas: Mon père « qui êtes dans les cieux; » mais « notre père, » afin que notre oraison soit généralement pour tout le corps de l’Eglise, et que chacun ne regarde point son intérêt particulier, mais celui de tous. Il bannit aussi par là toutes les aversions, et les inimitiés; il réprime l’orgueil, il chasse l’envie, et il introduit dans les âmes la charité, cette mère divine de tous les biens. Il détruit encore toutes les inégalités et les différences de conditions et d’états, et il égale admirablement le pauvre avec le riche, et le sujet avec le prince; puisque nous nous trouvons tous unis dans les choses les plus importantes et les plus nécessaires, qui sont celles du salut.
En quoi peut donc nous nuire la bassesse de notre naissance selon la chair, puisqu’une autre naissance nous unit tous, sans que l’un ait aucun avantage sur l’autre: ni le riche sur le pauvre; ni le maître sur le serviteur; ni le magistrat sur le particulier; ni le roi sur le soldat; ni le philosophe sur le barbare; ni le plus savant sur le plus simple et le plus ignorant? Car Dieu rend tous les hommes également nobles, lorsqu’il veut bien s’appeler également le père de tous.
Après donc qu’il a représenté à ses disciples cette noblesse et la grandeur de ce don de Dieu; l’égalité qui doit régner entre eux, et la charité qu’ils doivent avoir les uns pour les autres; après qu’il les a relevés de la terre pour les attacher au ciel, voyons ce qu’il leur ordonne de demander. Il est vrai que les premières paroles de cette prière semblaient devoir suffire pour le leur apprendre. Car il est bien juste que celui qui appelle Dieu « son Père, » et un père commun à tous, vive de telle sorte qu’il ne paraisse pas indigne d’une qualité si haute, et qu’il corresponde à l’excellence de ce don par la sainteté de sa vie. Mais Jésus-Christ ne s’arrête pas là, et il ajoute :
« Que votre nom soit sanctifié(9). » C’est une prière digne d’un homme qui vient d’appeler Dieu son Père, de n’avoir rien tant à coeur que la gloire de ce Père, et de mépriser toutes les autres choses en comparaison de celle-là. Car ce mot « soit sanctifié, » veut dire, soit glorifié. Dieu a sa gloire qui est toujours pleine, toujours infinie, et qui demeure toujours la même. Et il commande néanmoins à celui qui le prie de vouloir qu’il soit encore honoré par là sainteté de notre vie. C’est ce qu’il avait déjà dit en ces termes : « Que votre lumière luise devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes oeuvres et qu’ils glorifient votre Père qui est dans le ciel. » (Matth. V, 15.) Quand les séraphins louent Dieu, ils ne disent que ces paroles : «Saint; saint, saint. » C’est pourquoi ce mot : « Que votre nom soit sanctifié, » veut dire, qu’il soit glorifié. Daignez, s’il vous plaît, disons-nous à Dieu, régler et purifier notre vie de telle sorte, que tout le monde vous glorifie en nous voyant. C’est là la perfection d’un chrétien d’être si irréprochable dans toutes ses actions, que chacun de ceux qui le voient en rende à Dieu la gloire qui lui est due.