3.
Jésus-Christ donc ordonne parce précepte, que celui qui s’est noirci de vices, ne s’érige point en censeur de ses frères, surtout lorsque leurs fautes ne sont pas considérables. Il ne défend pas généralement de corriger nos frères; mais il ne veut pas que nous dissimulions nos propres défauts, lorsque nous nous élevons avec insolence contre ceux des autres. Cette déposition ne peut servir qu’à faire croître notre malice, et à nous rendre doublement coupables. Car celui qui néglige ses propres fautes, quoiqu’elles soient grandes, et qui reprend avec aigreur celles des autres, qui sont beaucoup moindres, fait un double mal : premièrement en ce qu’il néglige de se corriger; secondement en ce qu’il attire sur lui par ses répréhensions, la haine et l’aversion de tout le monde, et qu’endurcissant son coeur de plus en plus, il s’accoutume à devenir cruel et impitoyable.
Après avoir remédié à tous ces maux par l’établissement de cette belle loi, Jésus-Christ passe à un autre commandement. « Ne donnez point les choses saintes aux chiens, et ne jetez point vos perles devant les pourceaux (6).» D’où vient donc qu’il dit ensuite: « Dites dans la lumière ce que je vous dis dans l’obscurité, et prêchez sur le haut des maisons ce qui vous a été dit à l’oreille? » (Matth. X, 27.) Mais l’un de ces commandements ne combat point l’autre, parce que ce dernier n’ordonne pas aux apôtres de prêcher la vérité indifféremment à tout le monde, mais seulement de la prêcher avec assurance à ceux qu’il faudrait en instruire. Il entend par ce mot de « chiens, » ceux qui sont tellement endurcis dans le mal, qu’ils paraissent entièrement incurables, et ne laissent pas espérer de conversion: et par celui de «pourceaux, » il marque ceux qui sont plongés dans les vices les plus infâmes. Il déclare que toutes ces personnes sont indignes d’entendre la vérité. Saint Paul exprime la même pensée lorsqu’il dit: «L’homme animal ne perçoit point ce qui est de l’Esprit: c’est folie à ses yeux. » (I Cor. II, 14.) Et il témoigne en beaucoup d’autres endroits que la corruption des moeurs rend les hommes incapables d’entendre les instructions les plus relevées.
C’est pourquoi l’Evangile nous défend de découvrir à ces hommes les secrets de Dieu, parce qu’ils deviennent plus insolents après les avoir appris. Ceux dont l’esprit est sage et réglé, admirent ces vérités saintes, lorsqu’elles leurs ont révélées; mais les insensés les respectent davantage, lorsqu’ils les ignorent. Puis donc qu’ils n’ont pas assez de lumière naturelle pour les comprendre, qu’ils demeurent dans cette ignorance qui les entretient dans le respect, Un pourceau ne peut savoir quel est (192) le prix d’une perle: ni cet homme brutal, quel est le prix de la vérité qu’on lui annonce. Puis donc qu’il ne peut la comprendre, qu’on ne la lui découvre jamais, de peur qu’il ne foule aux pieds une chose si précieuse qu’il ne comprend pas. Ceux qui sont dans cet état deviendront encore plus coupables si on les instruit. Car ils profaneront les choses les plus sacrées dont ils ignorent la sainteté, et cette instruction ne servira qu’à irriter et à armer contre nous leur orgueil et leur insolence. C’est ce que Jésus-Christ marque en ces termes: « De peur qu’ils ne les foulent aux pieds, « et que se tournant contre vous-mêmes ils ne « vous déchirent (6).» Vous me direz peut-être, que ces vérités devraient être si puissantes que l’esprit en fût convaincu aussitôt qu’il les apercevrait, et qu’elles ne pussent donner à nos ennemis des armes pour nous combattre. Je réponds à cela que si on abuse de ces vérités saintes, on ne les doit point accuser de cet abus. Elles ne sont dignes que de respect, mais les pourceaux les méprisent parce qu’ils sont des pourceaux. Ainsi lorsque ces mêmes animaux foulent une perle aux pieds, on ne l’en estime pas pour cela moins précieuse, et l’on croit que cette sorte de profanation est aussi indigne d’elle, qu’elle est digne d’eux. Il ajoute: «Et que se tournant contre vous, ils ne vous déchirent. Car ils contrefont les humbles pour apprendre nos mystères, et lorsqu’ils les savent, ils deviennent tout d’un coup d’autres hommes. Ils se raillent de nous, et ils nous insultent comme nous ayant surpris par leur artifice. C’est pourquoi saint Paul dit à Timothée: « Gardez-vous de celui-là, parce qu’il a fortement combattu la doctrine que j’enseigne. » (II Tim. IV, 15). Et ailleurs : « Evitez avec soin ces personnes. » (Ibid.) Et à Tite: « Evitez celui qui est hérétique, après l’avoir averti une et deux fois. » (Tit. ni, 10.) Ce ne sont donc point nos vérités qui leur mettent les armes en main; c’est leur orgueil et leur vanité qui les aveugle, et qui en prend occasion de s’élever plus insolemment contre nous. C’est pourquoi ce n’est pas un petit avantage qu’ils les ignorent, puisque cette ignorance les empêche de les mépriser; que si au contraire on veut les instruire, on leur fait un double mal, parce qu’après avoir connu la vérité ils en deviennent pires au lieu d’en devenir meilleurs; et parce qu’ensuite ils nous causent mille peines.
Qu’ils écoutent ceci, ceux qui parlent indifféremment à toute sorte de personnes, et qui rendent ainsi méprisables les choses les plus sacrées. Quand nous fermons nos portes avant que de célébrer nos mystères, et que nous renvoyons les personnes non initiées, ce n’est point que nous craignions qu’on y reconnaisse quelque chose qui les puisse faire mépriser, mais c’est que nous jugeons ces personnes indignes de participer à des sacrements si redoutables. Jésus-Christ lui-même, pour nous donner un modèle de cette réserve, a dit beaucoup de choses aux Juifs seulement en paraboles, parce qu’en «voyant ils ne voyaient pas (Matth. XIII, 7); » et saint Paul nous ordonne de savoir « comment il faut répondre à chacun de ceux qui nous interrogent. »(Coloss. IV, 6.)