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D’autres néanmoins entendent ces paroles: « Pourquoi la haie a-t-elle été rompue à cause de vous? (Gen. XXXVIII, 29), » du peuple nouveau, parce qu’il est venu après la loi et qu’il l’a détruite. Ainsi vous voyez que ce n’est pas sans grand mystère que l’Evangéliste nous fait souvenir de cette histoire de Juda.
C’est par la même raison qu’il rapporte aussi celle de Ruth et de Raab, dont l’une était étrangère et l’autre une prostituée, afin de nous assurer que Jésus-Christ était descendu du ciel pour nous guérir de tous nos maux. Car il est venu dans le monde pour être le médecin (23) et non le juge des hommes. Comme donc quelques-uns de ces patriarches ont épousé des femmes prostituées, ainsi Jésus-Christ s’est uni à nous et a épousé la nature humaine, qui était prostituée à tous les vices. Les prophètes ont souvent dit que Dieu avait épousé la synagogue, mais elle a toujours été ingrate après un si grand bienfait, au lieu que l’Eglise, une fois délivrée de la corruption de ses pères, s’est attachée ensuite inviolablement à son époux.
Considérez encore dans Ruth la figure de ce qui devait arriver. Elle était étrangère et dans la dernière indigence. Et cependant Booz ne méprisa ni sa bassesse, ni sa pauvreté comme Jésus-Christ a pris l’Eglise quoiqu’étrangère et pauvre pour l’épouser et lui faire part de tous ses biens. Mais comme Ruth n’eût jamais été honorée de cette alliance, si elle n’eût quitté son père, renoncé à. son pays et méprisé sa maison, sa race et tous ses parents; l’Eglise de même n’est devenue agréable à son Epoux, qu’après avoir quitté sa première vie et tout le dérèglement de ses pères. C’est pourquoi le Prophète lui dit: « Oubliez votre peuple et la maison de votre père, et le Roi aimera votre beauté. » (Ps. XLIV, 41.) C’est ce qu’a fait Ruth et ce qui l’a rendue ensuite comme l’Eglise, la mère des rois. Car c’est de sa race qu’est sorti David.
L’Evangéliste donc pour confondre les Juifs, et pour leur apprendre à ne point s’élever, nomme ici ces femmes impudiques ou étrangères, et il leur fait voir que David même descendait de Ruth et que ce grand roi n’en rougissait point. Ainsi, mes frères, nul homme n’est digne de blâme ou de louange par la vertu ou par le dérèglement de ses pères. Ce n’est point là ce qui peut nous relever ou nous rabaisser, Mais s’il est permis de dire un paradoxe, je soutiens au contraire que celui-là est le plus illustre, qui devient très-vertueux quoique né de pères qui ne l’étaient pas.
Que personne donc ne tire vanité de la gloire de ses ancêtres; mais que chacun jetant les yeux sur la généalogie du Sauveur, étouffe toutes les pensées d’orgueil, et ne se glorifie que de ses seules vertus; ou plutôt qu’il ne s’en glorifie pas même, puisque ce fut ainsi que le pharisien devint pire que le publicain. Si vous voulez que votre vertu soit grande, n’en ayez pas une grande estime, et alors elle sera véritablement grande. Croyez ne rien faire et vous ferez tout. (23)
Car, si lors même qu’étant pécheurs nous sommes justifiés, pourvu que nous nous croyions tels que nous sommes, comme on le voit par l’exemple du publicain; combien serons-nous plus agréables à Dieu, si étant justes, nous croyons être pécheurs? Si l’humilité justifie le pécheur, quoiqu’elle soit en lui plutôt une confession de son indignité qu’une humilité véritable; combien sera-t-elle puissante dans le juste même? Ne perdez point le fruit de vos travaux. Ne rendez point inutiles toutes vos peines; et ne vous exposez point à demeurer sans récompenses, après avoir fait une longue course. Dieu connaît mieux que vous le bien que vous faites. Quand vous ne donneriez qu’un verre d’eau, il ne le méprise pas. Il compte jusqu’à la plus petite aumône, jusqu’à un soupir même. Il reçoit tout; il se souvient de tout; et il vous prépare une grande récompense.
Pourquoi donc comptez-vous si exactement vous-même vos bonnes oeuvres? Pourquoi nous en parlez-vous si souvent? Ignorez-vous que si vous vous louez vous-même, Dieu ne vous louera jamais? Et que si au contraire vous pleurez sur vous-même comme étant digne de compassion, il ne cessera point de publier vos louanges? Il ne veut point diminuer le fruit de vos travaux. Que dis-je, diminuer? Il fait tout, il ménage tout afin de vous couronner pour de très-petites choses, et il cherche par tous les moyens à vous délivrer de l’enfer.