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Eloignons de nous, mes frères, ces opinions puériles et ces fables judaïques. Ecoutons plutôt ce que dit saint Paul : « Tous ceux qui ont péché sans la loi périront aussi sans la loi (Rom. II, 12) , » ce qu’il dit de ceux qui l’ont précédée; « et tous ceux qui ont péché dans la loi seront jugés par la loi, » ce qu’il dit de tous ceux qui sont venus après Moïse. « Car Dieu, » dit le même apôtre, « découvre du ciel sa colère et sa vengeance contre toute l’impiété et l’injustice des hommes. L’affliction et le désespoir accablera tout homme qui fait le mal, le juif premièrement, et puis le gentil. » Les histoires saintes et profanes nous font assez voir selon cette parole de saint Paul, combien les gentils dans tous les siècles ont souffert de maux. Car qui peut dire ce qu’ont enduré les Babyloniens ou les Egyptiens? Et pour faire voir que ceux qui ont précédé Jésus-Christ, et qui sans l’avoir pu connaître ont fui l’idolâtrie et adoré le vrai Dieu en réglant leurs moeurs selon la justice, seront comblés de tous biens, il ne faut que considérer ce que dit saint Paul : « La gloire, l’honneur, la paix à tout homme qui fait le bien, au juif premièrement, et au gentil. » (Ibid.) Ainsi vous voyez clairement par tout ce que nous venons de dire, que Dieu récompense toujours les bons, comme il punit toujours les méchants.
Où sont donc ceux qui croient qu’il n’y a point d’enfer? Si ceux qui ont précédé l’avènement de Jésus-Christ, qui n’ont jamais entendu parler de l’enfer ni de la résurrection, et qui ont souffert de si grands maux en ce monde, ne laissent pas d’être encore punis après cette vie, que deviendrons-nous nous autres, après avoir reçu de Dieu des connaissances si saintes et si relevées?
Mais comment se peut-on persuader, me direz-vous, que ceux qui n’ont jamais entendu parler de l’enfer durant leur vie y tombent après leur mort? Ne pourraient-ils pas dire à Dieu : Si vous nous aviez menacé de ces flammes éternelles, nous les aurions appréhendées, et nous aurions mieux vécu? Et moi je vous dis sur cela, mes frères, que ces personnes auraient donc été bien plus sages que nous puisque nous entendons à tout moment parler de l’enfer, sans y faire la moindre réflexion et sans en devenir meilleurs. Mais sans m’arrêter à cela, ne peut-on pas dire que celui qui n’est point retenu par les peines qu’il voit tous les jours dans ce monde le serait bien moins par tout ce qu’on pourrait lui dire de celles de l’autre? Car les choses présentes touchent beaucoup plus les hommes grossiers et charnels que celles qu’ils ne voient pas, et qui ne leur doivent arriver que longtemps après.
Vous me direz, peut être: Si nous avons aujourd’hui tant de sujets de crainte, que n’ont pas eu ceux qui ont précédé Jésus-Christ? Dieu les a-t-il traités avec toute la justice qu’il serait à souhaiter? Oui, mes frères, la conduite de Dieu est très-juste. Car nos obligations sont beaucoup plus grandes que n’ont été les leurs, Il était donc bien raisonnable que ceux qui étaient chargés de plus de préceptes, fussent aussi soutenus d’un plus grand secours. C’est ce que Dieu a fait en augmentant notre crainte. Que si nous avons l’avantage de mieux connaître l’avenir que ceux qui ont précédé Jésus-Christ, ils ont eu eux aussi leur avantage sur nous: c’est d’avoir vu dès ce monde des châtiments épouvantables qui les retenaient dans le devoir.
Il y en a encore qui nous disent: Où est la justice de Dieu de punir et sur la terre et dans l’enfer ceux qui n’ont péché que sur la terre? Voulez-vous bien rue permettre de vous répondre à cela par vous-mêmes, et que sans me mettre en peine de chercher d’autres raisons, je vous prie seulement de vous rendre attentifs à ce que vous pensez, et à ce que vous dites tous les jours? J’ai souvent ouï plusieurs d’entre vous se plaindre, lorsqu’ils voyaient conduire un voleur au supplice et dire hautement : Quoi ! ce scélérat a tué cent hommes durant sa vie, et il ne mourra qu’une fois? Où est la justice? Vous avouez vous-mêmes qu’une mort ne suffit pas à ce voleur pour le punir selon la justice : pourquoi donc jugez-vous autrement en cette rencontre, sinon parce qu’il s’agit de vous-mêmes? Tant il est vrai que l’amour-propre couvre l’âme de ténèbres, et l’empêche de voir ce qui est juste. Ainsi quand nous jugeons les autres, nous voyons clairement tout ce qu’il faut voir: mais quand nous nous jugeons nous - mêmes, nous sommes aveugles.
Si nous tenions la balance aussi droite, lors. que nous examinons ce qui nous touche, que ce qui se passe dans les autres, nous jugerions de nous-mêmes selon l’équité. Car combien avons-nous commis de crimes, qui ne méritent pas une ou deux, mais dix mille morts? (300)
Souvenons-nous seulement, pour ne rien dire de tout le reste, combien de fois nous avons participé indignement aux saints mystères, et cependant selon saint Paul nous nous sommes rendus autant de fois coupables du corps et du sang de Jésus-Christ. Quand donc vous parlez avec tant d’ardeur contre les homicides, pensez à vous en même temps. Ce meurtrier a tué un homme, et vous vous êtes rendu coupable de la mort d’un Dieu. Ce voleur, lorsqu’il a commis ses crimes, était banni de nos saints mystères; mais vous avez commis les vôtres, lorsque vous aviez l’avantage d’approcher de cette table sacrée.
Que dirai-je encore de ceux qui dévorent leurs frères, en quelque sorte, qui déchirent leur réputation et l’infectent du venin de leur langue? Que dirai-je de ceux qui ravissent le pain du pauvre? Si celui qui ne donne pas l’aumône tue le pauvre, combien est plus meurtrier celui qui lui ravit son sang et sa vie? N’est-il pas vrai encore que les avares sont plus cruels que les voleurs, et que les usuriers sont plus barbares que les meurtriers et les violateurs des sépulcres? Com bien en voyons-nous à qui il ne suffit pas d’avoir pillé le bien des autres, mais qui sont encore altérés de leur sang?
Non, non, dites-vous, personne n’est assez cruel pour cela : Vous le dites maintenant; mais dites-le, lorsque vous aurez un ennemi. Dites-vous alors ces paroles à vous-mêmes, et arrêtez votre colère pour ne pas tomber dans le malheur de Sodome et de Gomorrhe, et pour ne pas vous exposer aux supplices de Tyr et Sidon; ou plutôt pour ne point offenser Jésus-Christ, ce qui est encore bien plus horrible. Car quoique plusieurs regardent l’enfer comme le plus grand de tous les maux, je ne cesserai jamais néanmoins de publier et de soutenir que c’est un mal sans comparaison plus grand, de voir Jésus-Christ irrité contre nous, que d’être condamné au feu de l’enfer. Et je vous conjure, mes frères, d’entrer avec nous dans cette pensée, parce que c’est le moyen d’éviter l’enfer et de mériter la gloire de Jésus-Christ, par la grâce et la miséricorde de ce même Sauveur, à qui est la gloire et l’empire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.