5.
Ecoutons ceci, mes frères, Jésus-Christ ne menace pas seulement les incrédules de les traiter avec plus de sévérité que Sodome et que Gomorrhe. Il nous fait aussi la même menace, si nous ne recevons les hôtes qui viennent chez nous, lorsqu’il leur commande de « secouer contre nous la poussière de leurs pieds. » Et c’est avec grande raison qu’il nous châtiera ainsi. Car si les désordres de Sodome furent effroyables, il faut néanmoins observer qu’ils eurent lieu avant la loi de grâce. Mais à quels supplices nous exposons-nous, si après que Dieu a fait de si grandes choses pour nous sauver, nous sommes encore si éloignés d’exercer l’hospitalité, si nous n’ouvrons point nos maisons aux hôtes, si nous fermons même l’oreille pour ne point entendre leurs prières et leurs cris.
Mais pourquoi me plaindre de ce que vous n’écoutez pas les pauvres lorsqu’ils vous prient, puisque vous ne voulez pas écouter les apôtres même lorsqu’ils vous parlent, et que c’est pour cela même que vous n’écoutez point les pauvres? Saint Pan! vous parle dans ses épîtres, lorsqu’on le lit ici devant tout le monde. Saint Jean vous prêche dans son Evangile, et vous ne daignez écouter ni l’un ni l’autre. Et après cela nous étonnerons-nous que vous soyez sourds aux cris des pauvres, puisque vous l’êtes à la voix des apôtres mêmes? Afin donc que nos maisons soient toujours ouvertes aux pauvres, et l’oreille de nos coeurs aux instructions des apôtres, purifions-les de tout ce qui les souille et qui les rend sourds. Car de même que l’oreille du corps, si elle est remplie de terre et de boue, ne peut pins entendre, ainsi l’oreille de notre coeur devient sourde, lorsqu’elle est remplie de chansons impudiques, des fables et des vains discours du monde; des inquiétudes que causent les dettes, et du soin d’amasser de l’argent par des usures. Toutes ces choses ne bouchent pas seulement les oreilles du coeur, mais elles les souillent plus que ne pourraient faire les choses les plus immondes. C’est le sens de la parole de ce barbare qui menaçait le peuple de Dieu, en lui disant : Vous mangerez vos propres excréments. Voilà l’indignité que vous font endurer ces chanteurs que vous allez entendre au théâtre, non plus seulement en paroles, mais par les effets; ou plutôt, ce qu’ils vous font est encore pire, puisqu’il n’y a pas d’ordures aussi dégoûtantes que leurs chansons lubriques. Et cependant lorsque les comédiens les récitent devant vous, non-seulement vous n’en avez pas de la peine, mais vous en riez, vous vous (307) en divertissez, bien loin d’en avoir de l’aversion et de l’horreur.
Que ne montez-vous donc aussi sur le théâtre, aussi bien que ces bouffons, qui vous font rire? Si ce qu’ils font n’est pas infâme, que n’imitez-vous ce que vous louez? Allez seulement en public avec ces sortes de personnes. Cela me ferait rougir, dites-vous. Pourquoi donc estimez-vous tant ce que vous auriez honte de faire? Les lois des païens rendent les comédiens infâmes; et vous allez en foule, avec toute la ville, pour les regarder sur leur théâtre, comme si c’étaient des ambassadeurs ou des hérauts d’armées, et vous y voulez mener tout le monde avec vous, pour emplir vos oreilles des ordures et des infamies qui sortent de la bouche de ces bouffons. Vous punissez très-sévèrement vos serviteurs lorsqu’ils disent chez vous des paroles peu honnêtes. Vous ne pouvez souffrir rien de sale dans vos enfants, ni dans vos femmes le moindre mot qui choque l’honnêteté; et lorsque les derniers des hommes vous invitent à entendre publiquement ces infamies que vous détestez si fort dans vos maisons, non-seulement vous n’en avez point de peine, mais vous vous en divertissez, et vous louez ceux qui les débitent. N’est-ce pas là le comble de l’extravagance?
Vous me répondrez peut-être que ce n’est pas vous qui dites ces choses si infâmes. Si vous ne les dites pas, vous aimez au moins ceux qui les disent. Mais d’où prouverez-vous que vous ne les dites pas? Si vous n’aimiez point à les dire, vous n’auriez point tant de plaisir à les écouter, ni tant d’ardeur à courir à ces folies.
Quand vous entendez des personnes qui blasphèment, vous ne prenez point de plaisir à ce qu’elles disent. Vous frémissez au contraire, et vous vous bouchez les oreilles pour ne les point entendre. D’où vient cela, sinon parce que vous n’êtes point blasphémateur? Conduisez-vous de même à l’égard de ces paroles infâmes; et si vous voulez que nous croyions que vous n’aimez pas à dire des turpitudes, n’aimez pas non plus à les écouter.
Comment vous pourrez-vous appliquer aux bonnes choses, étant accoutumé à ces sortes de discours? Comment pourrez-vous supporter le travail qui est nécessaire pour s’affermir dans la continence, lorsque vous vous relâchez jusqu’à prendre plaisir à entendre des mots et des vers infâmes, Car si, lors même qu’on est le plus éloigné de ces infamies, on a tant de peine à se conserver dans toute la pureté que Dieu nous demande: comment notre âme pourra-t-elle demeurer chaste, lorsqu’elle se plaira à entendre des choses si dangereuses?
Ne savez-vous pas quelle pente nous avons au mal ? Lors donc qu’à cette inclination naturelle nous ajoutons encore l’art et l’étude, comment ne tomberons nous pas dans l’enfer, puisque nous nous hâtons de nous y jeter? N’entendez-vous point ce que dit saint Paul : « Réjouissez-vous dans le Seigneur? » (Phi. I.) Il ne dit pas, réjouissez-vous dans le démon. Comment écouterez-vous ce saint apôtre, comment serez-vous touché du ressentiment de vos péchés, étant toujours comme ivre et hors de vous, par la vue malheureuse de ces spectacles?