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Il est donc clair que ce que Dieu cherche en nous, c’est la bonne vie et les actions saintes: « Vous les connaîtrez, » dit Jésus-Christ, « par leurs oeuvres. » (Matth. VII, 15.) Et qu’est-ce qui rend nos actions saintes? Sont-ce les miracles ou les vertus qui en sont la source et qui se terminent enfin à ce don? Car la sainteté de la vie attire cette grâce de faire des choses miraculeuses, et celui qui la reçoit ne la reçoit que pour édifier les autres et les convertir.
Pourquoi Jésus-Christ a-t-il fait tant de miracles, sinon afin qu’en se rendant digne d’être cru, il attirât les hommes à la foi, et les fît entrer ainsi dans une vie pure? C’est là la fin qu’il s’est proposée. C’est pour cela qu’il a fait tant de prodiges, qu’il a joint à ses miracles les menaces de l’enfer, et la promesse d’un royaume éternel; qu’il nous a prescrit des lois si pures et si inconnues au monde; et tout ce qu’il a fait sur la terre a eu pour but de rendre les hommes non-seulement saints, mais égaux aux anges.
Telle a été l’unique fin du Sauveur dans tout ce qu’il a fait. Mais que dis-je, du Sauveur? Vous-même, si Dieu voulait vous donner le pouvoir ou de ressusciter les morts au nom de Jésus-Christ, ou de mourir pour lui, laquelle de ces deux grâces choisiriez-vous? Ce serait sans doute la seconde, parce que la première ne serait qu’une action extérieure que Dieu ferait par vous, au lieu que la seconde serait une action qui sanctifierait et couronnerait votre vie. Si l’on vous offrait de même, ou la puissance de changer tout le foin du monde en or, ou la grâce de mépriser tout l’or du monde comme du foin, ne préféreriez-vous pas ce second avantage au premier? Et certes ce serait avec grande raison, puisqu’il n’y aurait point de miracle qui pût faire autant d’impression sur les hommes pour les attirer à Dieu, que ce mépris des richesses. S’ils vous voyaient changer le foin en or, ils en seraient encore plus avares, et ils désireraient en même temps d’avoir cette puissance, comme il arriva à Simon le Magicien; mais s’ils voyaient au contraire tout le monde fouler aux pieds l’argent comme du foin, ils seraient bientôt guéris de leur avarice.
Vous voyez donc, mes frères, que rien ne sert tant aux hommes, que rien ne les rend si illustres que la bonne vie. J’appelle une bonne vie, non pas de, jeûner ou de coucher sur la cendre, ou de vous revêtir d’un sac, mais d’avoir un mépris de la richesse aussi sincère et aussi effectif qu’on le doit avoir, d’aimer tout le monde avec une charité tendre et véritable, de partager notre pain avec les pauvres, de vaincre la colère, de fouler aux pieds la vanité et l’orgueil, et d’étouffer tous les mouvements de l’envie.
Ce sont là les instructions que Jésus-Christ lui-même nous a données: « Apprenez de moi,» dit-il, « que je suis doux et humble de coeur.» (Matth. XI, 27.) Il ne dit pas : Apprenez de moi que j’ai jeûné; quoi qu’il pût nous proposer son jeûne de quarante jours; mais ce n’est pas ce (364) qu’il veut principalement que nous imitions en lui: «Apprenez de moi, » nous dit-il, «que je si suis doux et humble de cœur. » Et lorsqu’il envoie ses apôtres prêcher l’Evangile dans tout le monde, il ne leur dit pas : Jeûnez, mais si mangez de ce qu’on vous présentera. » Mais pour l’argent, il leur défend très-expressément d’en avoir sur eux: « Ne possédez, leur dit-il, ni or, ni argent, ni d’autre monnaie dans si votre bourse. » (Luc, X, 4.)
Je vous dis ceci, mes frères, non que je blâme le jeûne; à Dieu ne plaise! au contraire, je le loue et l’estime de tout mon coeur. Mais ma douleur est de voir que vous méprisiez toutes les autres vertus, et que vous croyiez que c’est assez de jeûner pour être sauvé, quoique le jeûne entre les vertus tienne le dernier rang. Les ver tus principales et essentielles sont la charité, l’humilité, la douceur, l’amour des pauvres; et ces vertus surpassent même la virginité. C’est pourquoi si vous voulez devenir égal aux apôtres, rien ne vous en peut empêcher. Travaillez à monter au comble de ces vertus, et vous ne leur serez pas inférieur en mérite.
Qu’on ne s’excuse donc plus sur ce qu’on n’a pas le don des miracles comme les apôtres. fi est vrai qu’on ne peut chasser comme eux les démons des corps, mais on peut les chasser de son âme et de celle des autres; et ce second miracle afflige plus le démon que le premier, parce que le péché est sa grande force. C’est pour le détruire que Jésus-Christ ‘est mort sur la croix. C’est le péché qui a introduit la mort dans le monde, et une confusion générale et universelle parmi les hommes. Si donc vous étouffez le péché en vous, vous étoufferez en même temps la plus grande force du diable; vous lui briserez la tête; vous ren~ verserez tout ce qui peut affermir sa tyrannie, vous mettrez en fuite toutes ses légions infernales, et enfin vous ferez le plus grand de tous les miracles.
Ce n’est pas moi qui vous dis ceci de moi-même. C’est le bienheureux saint Paul qui ayant dit: si Aspirez aux dons les plus parfaits, et je vous enseignerai une voie encore « beaucoup plus excellente (I Cor. I, 31), » ne parle point ensuite des miracles ni des prodiges; mais seulement de la charité qui est le principe et la racine de tous les biens. Si donc nous embrassons cette charité avec toutes les branches saintes dont elle est la tige, nous n’aurons point besoin du don des miracles, comme au contraire si nous la négligeons, tous les miracles ne nous serviront de rien.
Pensons à ces vérités, mes frères, et aspirons à ce qui a rendu les apôtres si grands devant Dieu et devant les hommes. Voulez-vous savoir ce qui les a rendus si illustres? Saint Pierre vous le dit lui-même : « Seigneur, nous avons tout quitté et nous vous avons suivi, quelle récompense donc en recevrons-nous? » (Matth. XIX, 26.) Ecoutez aussi la réponse de Jésus-Christ : « Vous serez un jour assis sur douze trônes; et quiconque quittera pour moi sa maison, ses frères, son père et sa mère, recevra le centuple en ce monde et la vie éternelle en l’autre. »
Renonçons donc, mes frères, à toutes les choses de la terre, et abandonnons-nous à Jésus-Christ, afin que selon sa parole, nous soyons égaux aux apôtres et que nous jouissions de cette vie éternelle que je vous souhaite, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire et l’empire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. (365)