1.
« Alors, » dit l’Evangile. Et quand donc? Et qu’est-ce à dire? C’est-à-dire, lorsqu’il eut fait tant de miracles, et qu’il eut guéri tant de malades par le seul attouchement de la frange de ses habits. Et cette circonstance du temps, soigneusement exprimée, nous fait mieux voir jusqu’où allait la malice de ces hommes, malice qui ne pouvait céder à rien.
Pourquoi est-il marqué que ces docteurs et ces pharisiens étaient « de Jérusalem »? C’est parce qu’ils étaient répandus partout et divisés dans toutes les douze tribus: mais ceux de Jérusalem étaient les pires de tous, étant plus honorés que les autres, et par suite plus orgueilleux. Et considérez de quelle manière Jésus-Christ les prend par eux-mêmes, et parleur propre demande.
« Pourquoi vos disciples violent-ils la tradition des anciens? Car ils ne lavent point leurs mains, lorsqu’ils prennent leur repas (2). » Ils ne disent pas : Pourquoi vos disciples violent-ils « la loi de Moïse » ? Mais, pourquoi violent-ils « la tradition des anciens? »Cela nous fait voir que ces prêtres avaient introduit plusieurs nouvelles maximes. Cependant Moïse avait défendu très-expressément que personne n’eût la témérité de rien changer dans la loi, d’y rien ajouter ou d’en retrancher la moindre chose: « Vous n’ajouterez rien, » dit-il, « à ce que je vous commande « aujourd’hui, et vous n’en retrancherez rien. » (Deut. IV, 2.) Les pharisiens avaient néanmoins violé cette ordonnance en introduisant de nouvelles traditions, comme était celle de ne se point mettre à table sans se laver les mains, de laver leurs vases d’airain, et de se laver eux-mêmes.
Lorsqu’ils devaient ne penser qu’à se délivrer de toutes ces cérémonies, parce que le temps en était passé, ils en inventaient au con traire tous les jours de nouvelles, dont ils se surchargeaient volontairement. Ils craignaient. si ces lois s’abolissaient, de perdre leur autorité, et ils voulaient se rendre redoutables aux peuples par cette liberté qu’ils prenaient de faire de nouvelles lois. Cet état de choses en vint à un tel excès, qu’on n’osait pas violer leurs lois, lorsqu’on violait sans crainte celles de Dieu même; et ils s’étaient établis dans une si grande autorité, que c’était un crime que de contrevenir à leurs ordonnances. En quoi certes ils se rendaient doublement coupables premièrement en prenant la liberté de faire de nouvelles lois; et en second lieu, en vengeant si sévèrement la violation de leurs ordonnances, lorsqu’ils étaient si indifférents pour la profanation de la loi de Dieu.
Ils s’adressent donc à Jésus-Christ, et sans (395) lui parler des vases d’airain ou d’autres et d’autres observances qui eûssent paru par trop ridicules, ils s’attachent à ce qui leur paraissait plus considérable, et tâchent, autant que j’en puis juger, de l’irriter et de le mettre en colère. Ils parlent d’abord de leurs «anciens», afin que si Jésus-Christ les méprisait, il donnât par là prise contre lui.
Mais voyons d’abord pourquoi les disciples mangeaient sans laver leurs mains. Ils n’affectaient point de ne se laver jamais: ils n’en faisaient point une règle; mais ils commençaient à mépriser tout ce qui était superflu, ils ne s’attachaient plus qu’à ce qui était nécessaire. Ainsi ils ne se faisaient plus une loi ou de se laver, ou de ne pas se laver, mais ils en usaient indifféremment selon les rencontres. Car comment ceux qui négligeaient si fort le soin même de la nourriture, eussent-ils pu en avoir pour ces puérilités? Comme il arrivait donc souvent que les apôtres, à cause des occurrences qui se présentaient, mangeaient sans laver leurs mains; comme lorsqu’ils mangèrent dans le désert ou qu’ils rompirent des épis de blé, les pharisiens leur en font ici un crime, parce que leur faux zèle négligeait toujours les choses les plus importantes, et ne s’attachait qu’aux basses et aux superflues.
Que fait Jésus-Christ en cette rencontre? Il ne répond point à leur question. Il n’entreprend point de justifier ses disciples ;mais c’est par une accusation qu’il répond à leur accusation, il leur reproche leur témérité, et leur apprend qu’il sied mal à celui qui est coupable lui-même des plus grands crimes, de reprendre dans les autres avec chaleur les fautes les plus légères. Lorsque vous méritez qu’on vous reprenne vous-mêmes, leur dit-il, vous osez reprendre les autres!
Mais remarquez, mes frères, lorsque Jésus-Christ veut se dispenser de quelque ordonnance de la loi, quel ordre il garde, et comme il se justifie. Il ne vient pas tout d’un coup au crime de cette transgre6sion dont on l’accuse. Il ne dit point: ce n’est rien: c’est une chose superflue, Cette réponse eût rendu ses adversaires plus insolents, il commence par réprimer leur audace en leur objectant d’autres infractions de la loi en des choses plus importantes, et en leur reprochant d’autres crimes qui les couvraient de confusion.
Il ne dit pas non plus que ses disciples sont irrépréhensibles, en passant par-dessus ces ordonnances, afin de ne donner aux pharisiens aucune prise sur lui. il ne dit point encore qu’ils aient fait une faute, parce qu’il ne veut pas autoriser les traditions judaïques. Il évite de même d’attaquer les anciens. Il ne parle point contre eux, comme contre des prévaricateurs et des méchants, pour empêcher qu’ils n’aient. horreur de lui, comme d’un calomniateur, et comme d’un impie. Il rejette tous ces moyens pour s’attacher à celui que l’Evangile marque. Il semble blâmer ceux qui lui parlent, mais il attaque en effet ceux qui avaient osé établir ces lois. Ainsi sans dire un mot des anciens, il les comprend dans le reproche qu’il fait à ceux qui lui parlent, et fait voir qu’ils sont tombés dans deux grandes fautes. La première, parce qu’ils n’ont pas obéi aux véritables lois de Dieu; et la seconde, parce qu’ils leur en ont substitué d’autres par complaisance pour les hommes. Il semble qu’il leur dise: C’est cela même qui vous perd, que vous soyez si soumis en tout à vos anciens. Il ne le dit pas néanmoins en termes formels, mais il le marque tacitement par ces paroles:
« Pourquoi vous-mêmes violez-vous le commandement de Dieu pour suivre votre tradition (3)? Car Dieu a fait ce commandement: « Honorez votre père et votre mère; et cet autre: Que celui qui outragera de paroles son père ou sa mère, soit puni de mort (4). Et cependant vous dites: Quiconque dira à son père ou à sa mère: Tout ce dont j’aurais pu vous assister, est déjà consacré à Dieu, satisfait à la loi (5), quoiqu’après cela il n’honore et n’assiste point son père ou sa mère; et ainsi vous avez rendu inutile le commandement de Dieu par votre tradition (6). »