2.
« Qu’il porte sa croix. » C’était une suite du renoncement que Jésus-Christ vient de nous commander. Car afin que vous ne croyiez pas que œ renoncement de vous-mêmes ne devait aller qu’à souffrir simplement des paroles, des injures et des outrages, Jésus-Christ marque jusqu’à quel point vous devez vous renoncer, c’est-à-dire, jusqu’à mourir, et à mourir d’une mort infâme comme celle de la croix, et à la porter non une ou deux fois, mais durant toute votre vie. Portez, dit-il, continuellement votre croix; ayez la mort toujours présente devant les yeux, et soyez toujours prêts à vous laisser égorger comme un agneau que l’on conduit à la boucherie. Il se voit assez de personnes qui ont la force de mépriser les biens, les plaisirs et la gloire, et qui ne peuvent mépriser la mort, Ils ne peuvent se mettre au-dessus de tous les périls, dont la seule vue les fait pâlir. Mais moi je veux que celui qui veut être mon disciple se prépare aux maux, qu’il soit prêt à répandre jusqu’à la dernière goutte de son sang, qu’il passe gaiement des injures aux outrages, et des outrages à la mort, qu’il embrasse généreusement la mort la plus honteuse, et que plus elle est infâme, plus il s’en réjouisse.
« Et qu’il me suive. » Jésus-Christ ajoute ces paroles avec grande raison. Il y a bien des personnes qui souffrent mais qui ne « suivent » pas le Sauveur, parce qu’elles ne souffrent pas pour lui. Les voleurs, les sorciers, les meurtriers, les violateurs des tombeaux souffrent tous les jours de cruelles peines; mais ils se les sont attirées eux-mêmes. Ainsi ce n’est pas assez de souffrir en général, Jésus. Christ marque en particulier quel doit être le sujet de nos souffrances, lorsqu’il veut que nous le suivions, que nous endurions tout pour lui, et que nos souffrances soient accompagnées de toutes les autres vertus. Car c’est ce que marque ce mot, « et qu’il me suive. »C’est-à-dire, qu’il témoigne non-seulement du courage dans les souffrances, mais de l’humilité, de la douceur, de la modestie, et tout ce qui est nécessaire pour souffrir en vrai chrétien.
Suivre Jésus-Christ comme on le doit suivre, c’est avoir soin, lors même qu’on souffre, de pratiquer toutes les autres vertus, et de souffrir seulement pour Jésus-Christ. Car le démon a aussi des disciples qui le suivent, qui souffrent les mêmes maux pour lui, que nous souffrons pour le Sauveur; qui lui sacrifient misérablement leur vie, et qui n’ont aucune crainte de la mort la plus sanglante. Pour nous, nies frères, nous souffrons, non pour le démon, mais pour Jésus-Christ. Nous souffrons pour nous-mêmes et pour nous sauver, au lieu que ceux-là ne souffrent que pour se perdre, et dans ce monde et dans l’autre. Nous souffrons pour acheter par nos souffrances une double vie, et ils souffrent pour passer de leurs souffrances dans une double mort. Ne serait-ce pas être lâche que de ne pas témoigner autant de courage pour nous sauver, que ces malheureux en témoignent pour se perdre; de ne pas endurer des maux qui nous produisent tant de gloire, surtout lorsque Jésus-Christ est présent pour nous assister, pendant que ceux-là souffrent sans trouver aucun appui dans leurs souffrances?
Jésus-Christ avait déjà presque donné ce même commandement à ses apôtres, lorsqu’en les envoyant il leur dit : « N’allez point dans la voie des Gentils. Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups, et vous serez conduits devant les princes et les rois. »(Matth. X, 5; Luc, X, 3.) Mais il marque ici la même chose en des termes bien plus forts et, bien plus terribles. Il ne parlait alors que de la mort; mais il parle ici de la « croix», et d’une croix continuelle : « Qu’il porte sa « croix», dit-il, c’est-à-dire, qu’il la porte en tout temps et dans tous les lieux. C’est la coutume que le Sauveur garde partout. Il ne commande point tout d’abord les choses les plus parfaites et les plus relevées. Il nous y porte insensiblement et comme par degrés, afin que nous n’en soyons point frappés d’abord, et que nous devenions plus disposés à les recevoir.
Mais, comme ces commandements (430) paraissaient extrêmement durs, admirez comment le Sauveur les adoucit. Il relève le courage de ses apôtres, en leur proposant le prix inestimable dont il les récompenserait. Il ne se contente pas de leur faire voir seulement les biens qu’ils mériteraient par ces souffrances il leur montre encore les maux qu’ils éviteraient, sur lesquels même il s’arrête davantage que sur les biens, parce qu’il savait que les hommes sont moins touchés des promesses des récompenses, que des menaces des supplices. Voyez donc comment, après avoir commencé son discours par là, il le termine de même.
« Car celui qui voudra sauver son âme la perdra, et celui qui la perdra pour l’amour de moi, la sauvera (25). » C’est comme s’il leur disait : Il semble que je ne vous épargne point, en vous ordonnant de souffrir ces maux. Cependant, je ne le fais que pour vous épargner davantage. Le père qui épargne son fils, le perd. Celui qui ne l’épargne point, le sauve. Le Sage a dit: « Si vous frappez votre fils de verges, il ne mourra pas, et vous sauverez son âme de la mort. » Et ailleurs : « Celui qui aime son fils fermera ses plaies, et bandera ses blessures. » (Prov. XXIII, 13; Eccli. XXX, 7.) C’est ainsi que les généraux d’armée agissent envers leurs soldats. Si, pour les épargner, ils leur commandaient de ne point sortir du camp, ils les perdraient sans ressource. Afin donc, mes disciples, que vous ne tombiez pas dans ce malheur, je vous commande de vous tenir toujours préparés à la mort. Vous allez être en butte à une cruelle et sanglante guerre. Ne vous tenez donc pas à l’ombre. Ne vivez pas d’une vie lâche et molle, mais sortez du camp, et témoignez votre courage en combattant vos ennemis. Si vous mourez dans cette guerre, c’est alors que vous trouverez la vie.