2.
« Or tout cela s’est fait pour accomplir ce que le Seigneur avait dit par le Prophète (23).» L’écrivain sacré s’exprime d’une manière aussi digne que possible, du grand mystère qu’il raconte, lorsqu’il dit : « Tout cela s’est fait. »Cet abîme de l’amour de Dieu; cet océan de miséricorde; ces grâces inespérées; ce renversement de toutes les lois de la nature; cette réconciliation de Dieu avec les hommes; cet abaissement de Celui qui était au-dessus de tout, jusqu’à l’état le plus humble ; la destruction de « cette muraille de séparation (Ephés. II, 14), » dont parle saint Paul; tous les obstacles de notre salut entièrement levés, et ce grand nombre de merveilles renfermées dans ce mystère, il les embrasse toutes d’un coup d’oeil, il les exprime toutes par ce mot:
« Tout cela s’est fait pour accomplir ce que le Seigneur avait dit par son Prophète. » Ne considérez pas ce qui se passe maintenant, dit-il, comme une oeuvre dont l’idée soit nouvelle dans les desseins de Dieu, il y a longtemps qu’il l’a prédite et préfigurée; saint Paul s’applique à le démontrer partout dans ses écrits.
L’ange renvoie Joseph à Isaïe, afin que s’il oubliait à son réveil ce qu’il entendait en songe, les paroles du Prophète, dans la lecture desquelles il avait été nourri, l’en fissent souvenir. L’ange ne cite pas de même des prophéties à la Vierge, parce que n’étant encore qu’une jeune fille, elle pouvait n’en avoir pas connaissance; mais lorsqu’il parle à un homme, et à un homme juste, qui s’appliquait à la lecture des Prophètes, il a soin de lui citer leur témoignage. Remarquez aussi comment l’ange, avant d’avoir cité le Prophète, ajoute au nom de « Marie » les mots « votre femme; » et comment, après avoir invoqué l’autorité d’Isaïe, il ne craint plus de lui donner le nom de « vierge. » Car Joseph n’eût pas été si disposé à croire Marie vierge et mère tout ensemble, si l’ange ne lui eût fait voir auparavant qu’Isaïe autorisait cette vérité. Mais pour un homme qui avait longuement médité le Prophète, la merveille d’une vierge mère cessait d’être étrange pour devenir une idée familière et parfaitement admissible. C’est donc pour préparer l’esprit de Joseph à entendre ce miracle, que l’ange en appelle d’abord à Isaïe.
Il ne s’arrête pas encore là, mais il s’autorise par le témoignage de Dieu-même. Car il ne dit pas: « Tout cela s’est fait pour accomplir ce qui a été dit par Isaïe» en ces termes : mais « ce qui a été dit par le Seigneur.» Dieu même était celui qui avait prononcé cet oracle; Isaïe n’avait été que sa langue et sa voix. Mais que dit cet oracle? « Une vierge concevra et enfantera un fils, à qui on donnera le nom d’Emmanuel, c’est-à-dire Dieu avec nous (23). »
Pourquoi donc, me direz-vous, ne lui a-t-on pas donné le nom « d’Emmanuel, » mais celui de Jésus-Christ? C’est parce que l’ange ne dit pas, « vous l’appellerez, » mais indéterminément, « on lui donnera, » c’est-à-dire, que les peuples lui donneront ce nom, d’après l’événement. Ce terme d’Emmanuel définit un événement selon la coutume de l’Ecriture. Et lorsque l’ange dit: « On lui donnera le nom d’Emmanuel, c’est-à-dire, Dieu avec nous, » c’est comme s’il disait : Les hommes verront Dieu vivant avec eux. Car bien que Dieu ait toujours été avec eux, il n’y était pas néanmoins d’une manière visible et sensible, comme depuis l’incarnation. Que si les Juifs osent s’opposer à ce que je dis, je leur ferai remarquer qu’on n’a jamais donné non plus à Jésus-Christ un autre nom marqué par le Prophète, et qui veut dire: « Hâtez-vous de prendre les dépouilles, hâtez-vous de ravir votre butin, » (Isaïe, VIII, 3.) Et qu’auront-ils à répondre? (41) Pourquoi donc Isaïe dit-il : « Appelez son nom, » c’est parce qu’aussitôt qu’il est né, il a remporté les dépouilles du démon, et le Prophète lui attribue comme son nom propre, cet effet si glorieux du pouvoir qu’il a eu dès sa naissance.
Il est dit de même que la ville de Jérusalem sera appelée : « Une ville de justice, la mère des cités, la fidèle Sion. » (Isaïe, I, 26.) Cependant nous ne voyons point que Jérusalem ait porté le nom de « ville de justice; » et elle a toujours conservé son premier nom; et lorsque le Prophète dit qu’elle portera ce nom c’est un tour particulier qu’il emploie pour exprimer le fait de sa conversion au bien et à la justice. Lorsqu’une action d’éclat signale davantage celui qui l’a accomplie, que ne pourrait faire son nom propre, on lui donne un autre nom qui rappelle ce qu’il a fait.
Refoulés sur ce point, les Juifs reviennent à la charge sur un autre, ils s’en prennent à la virginité que nous attribuons à la mère du Messie, ils objectent que tous les interprètes n’entendent pas comme nous ce passage d’Isaïe, qu’ils traduisent non pas « une vierge, » mais « une jeune fille. » A cela nous répondrons que les plus sûrs interprètes sont les Septante, qu’il n’y en a pas dont l’autorité soit égale à la leur; les autres ont écrit depuis Jésus-Christ, ils sont juifs, et par conséquent suspects, parce qu’ils ont malicieusement corrompu beaucoup d’endroits, et qu’ils ont fâché d’obscurcir les Prophètes. Au contraire les Septante ont fait leur version plus de cent ans avant Jésus-Christ et ils étaient plusieurs ensemble : ils évitent par là jusqu’à l’ombre du soupçon; leur temps, leur nombre et leur union leur donnent une autorité que les autres ne peuvent avoir.