1.
Jésus-Christ, mes frères, entretient ses apôtres de sa croix et de sa passion pour les empêcher de s’ennuyer en Gaulée et de dire : Que faisons-nous si longtemps en ce pays ? Le Sauveur savait que ce discours leur ôterait jusqu’à la pensée de revoir Jérusalem. Mais admirez comment, après les reproches que Jésus-Christ fit à saint Pierre, après les entretiens de Moïse et d’E1ie, qui appelaient la passion de Jésus-Christ son triomphe et « sa gloire», après la voix que le Père fit entendre sur le Thabor, après tant de différents miracles, enfin après l’assurance de sa résurrection qui ne devait être différée que de trois jours, les disciples néanmoins ne peuvent souffrir que Jésus-Christ leur parle de sa passion, et « qu’ils s’affligent aussitôt » qu’il leur en parle. C’est sans doute parce qu’ils ne comprenaient pas toute la force des paroles de Jésus-Christ, comme le marquent saint Luc (chap. IX) et saint Marc (chap. IX), qui disent clairement « qu’ils ignoraient cette parole, qu’elle leur était cachée, et qu’ils craignaient de l’interroger ». Mais ne peut-on pas demander, puisqu’ils ignoraient cet paroles, comment ils pouvaient, s’en affliger. Il est visible qu’ils ne les pouvaient ignorer entièrement et qu’ils comprenaient assez par de si fréquentes redites que leur Maître devait mourir. Mais ils ne comprenaient pas qu’il dût ressusciter, ensuite, ni quand ni comment il le ferait. Ils ne prévoyaient point les grands biens que sa mort devait apporter au monde, ni la gloire infinie qui la devait suivre. C’était cette ignorance qui causait leur douleur, parce qu’ils étaient fort attachés à leur Maître.
« Mais lorsqu’ils furent venus à Capharnaüm, ceux qui recevaient le tribut des deux drachmes vinrent dire à Pierre: Votre Maître ne paye-t-il pas le tribut (23) » ? Quel était, mes frères, ce tribut des deux drachmes? Voici en un mot ce qui, y avait donné lieu. Quand Dieu frappa l’Egypte de la plaie épouvantable par laquelle il fit mourir, ses premiers-nés, il voulut, en souvenir de ce miracle, se réserver la tribu entière de Lévi, au lieu des premiers-nés de toutes les autres tribus. Mais comme dans la suite le nombre des premiers- nés de toutes les tribus surpassait celui des hommes de la tribu de Lévi, Dieu commanda que pour y suppléer le premier-né de chaque maison lui offrît deux drachmes. Ce qui se fit dans la suite et se pratiqua très-exactement. Comme donc Jésus-Christ était du nombre des premiers-nés et que Pierre paraissait le premier de tous les apôtres, les juifs s’adressent à celui-ci pour exiger ce tribut. Je soupçonne que chacun payait cet impôt dans (455) sa ville ; c’est pourquoi les Juifs saisissent l’occasion de ce que Jésus-Christ était à Capharnaüm, qui passait pour sa patrie, pour le lui demander. Ils n’osent pas s’adresser à Jésus-Christ même. Ils s’adressent seulement à saint Pierre, et même sans violence, mais avec douceur, Car ils ne parlent pas sur le ton de la récrimination; ils interrogent simplement: « Votre Maître », dirent-ils, « ne paye-t-il pas « le tribut? » Quoique ces gens n’eussent pas encore du Sauveur toute l’estime qu’ils en devaient avoir, et qu’ils ne le regardassent que comme un simple homme, les miracles néanmoins qu’ils lui voyaient faire ne laissaient pas de leur imprimer du respect pour sa personne.
« Il leur répondit: Oui, il le paye (24) ». L’apôtre répond à ces gens que son Maître payait le tribut; cependant il n’en parle pas à son Maître, peut-être parce qu’il rougissait de le faire; mais Celui qui est la douceur même et qui voit tout le prévient ainsi lui-même « Et étant entrés dans la maison, Jésus le prévint et lui dit: Que vous en semble, Simon? De qui les rois de la terre reçoivent-ils les tributs et les impôts? Est-ce de leurs propres enfants ou des étrangers? — Des étrangers, répondit Pierre. Jésus lui dit : Les enfants en sont donc exempts (25) »? Jésus-Christ parle d’abord à saint Pierre afin qu’il ne crût pas qu’il eût ouï parler de ce tribut à ceux qui avaient charge de l’exiger. Il semble vouloir donner à son disciple une ouverture pour lui parler librement d’une chose dont celui-ci craignait de l’importuner. Voici le sens de ce que dit le Sauveur: Je suis libre et je ne dois point payer le tribut. Car si les rois de la terre n’exigent rien de leurs enfants, mais seulement des étrangers, il est bien plus raisonnable que je sois exempt de tout tribut, puisque je ne suis pas seulement le fils d’un roi de la terre, mais le fils du roi et le roi même du ciel.
Remarquez, mes frères, comme il distingue ceux qui sont fils de ceux qui ne le sont pas. S’il n’eût pas été véritablement Fils de Dieu, c’eût été en vain qu’il eût rapporté l’exemple des enfants des rois de la terre. Que nul impie ne vienne dire: Je reconnais que Jésus est le Fils de Dieu, mais il n’est pas son véritable fils. Car alors il est étranger, et s’il est étranger, cet exemple n’a plus de force. Car Jésus-Christ ne parle pas simplement des enfants, mais des enfants véritables, des enfants légitimes qui ont part à l’héritage et au royaume de leur père. C’est pourquoi il marque cette différence en appelant « étrangers » ceux qui ne sont pas nés de ces rois, et « enfants » ceux qui sont sortis de leur sang. Et remarquez, mes frères, lue Jésus-Christ confirme encore la révélation que Dieu avait faite à saint Pierre, en lui découvrant que Jésus-Christ était véritablement son Fils. Cependant le Sauveur ne s’arrête pas à cela. Et par une condescendance merveilleuse il consent à payer, mais d’une manière qui montre une fois de plus qui il était. Car il ajoute aussitôt : « Mais afin que nous ne les scandalisions point, allez-vous-en à la mer, et jetant votre ligue, prenez le premier poisson qui se présentera, et dans sa bouche vous trouverez une pièce d’argent de quatre drachmes, que vous prendrez, et la leur donnerez pour moi et pour vous (26) ». Admirez, mes frères, comment Jésus-Christ allie ensemble deux choses si différentes, et comment il trouve le moyen de ne point refuser le tribut, et de ne le point donner non plus en esclave et en tributaire. Il évite également de scandaliser d’un côté ses disciples, et de l’autre ceux qui reçoivent ces tributs. Car il ne le donne pas comme étant sujet à cette loi, mais seulement pour épargner la faiblesse de ces hommes. Nous avons vu ailleurs qu’il ne tient pas compte des scandales, comme lorsqu’il parlait du discernement des viandes, et nous voyons ici qu’il les évite, pour nous apprendre les temps et les rencontres où nous devons négliger ou apaiser ceux qui se scandalisent de notre conduite.