3.
Vous me direz peut-être que c’est Dieu même qui affaiblit dans nous la force du mal. Mais comment, d’après votre supposition, le pourrait-il faire? comment pourrait-il détruire un être éternel comme lui et une puissance aussi grande et aussi forte que la sienne? O malice effroyable du démon ! Il a déshonoré Dieu sous prétexte de l’honorer et il a couvert une impiété détestable sous le voile de la piété. Dire que le péché vient de Dieu, ce serait un blasphème. Pour détourner donc les hommes de cet abîme, il les précipite dans un autre, en leur enseignant que le mal est un être sans principe et incréé comme Dieu.
Mais d’où vient donc le péché, dites-vous? Il vient de ce qu’on veut ou de ce qu’on ne veut pas. Et si vous demandez encore d’où vient qu’on veut ou qu’on ne veut pas, je vous réponds que cela vient tout de nous. Vous faites la même chose par toutes vos questions, que si après m’avoir demandé pourquoi nous voyons ou nous ne voyons pas, et après que je vous aurais répondu que c’est parce que nous ouvrons, ou que nous fermons les yeux; vous me demandiez encore d’où vient que nous ouvrons ou que nous fermons les yeux; et qu’après que je vous aurais dit que cela vient de ce que nous voulons ou nous ne voulons pas faire ces actions, vous m’en demandiez encore une autre cause. Il n’y a point d’autre mal au monde que de ne vouloir pas obéir à Dieu. — Où les hommes, me direz-vous, ont-ils pu trouver ce mal? Croyez-vous qu’il ait été fort difficile à trouver? Non, me direz-vous. Mais d’où vient que l’homme n’a pas voulu obéir à Dieu? Parce qu’il a été lâche et négligent. Car, étant libre de vouloir ou de ne vouloir pas obéir, il â mieux aimé n’obéir point.
Que si cette réponse ne vous satisfait pas encore et vous laisse quelque obscurité, je ne vous ferai plus qu’une demande. Elle ne sera pas même fort embrouillée, comme toutes celles que vous me faites: elle sera simple et claire. N’avez-vous jamais éprouvé en vous du changement en bien et en mal? Peut-être que vous avez vaincu d’abord une passion, et qu’ensuite vous y avez succombé. Peut-être au contraire que vous avez été d’abord sujet au vin, et que depuis vous n’y avez plus été sujet. Vous avez été colère, et vous avez cessé de l’être. Vous avez méprisé le pauvre, et depuis vous ne l’avez plus méprisé. Vous avez été sujet à des vices honteux, et depuis vous êtes devenu chaste. Je vous demande comment ces changements se sont faits en vous?
Si vous ne me répondez point, je le fais pour vous, et je vous dirai que vous êtes passé du vice à la vertu, parce que vous vous êtes fait à vous-même une sainte violence, et que vous êtes après retombé de la vertu dans le vice, parce que vous vous êtes laissé abattre par la paresse. Je ne parle point ici à ces pécheurs désespérés qui se sont plongés tout entiers dans le vice, qui sont devenus comme insensibles par un long endurcissement, et qui ne veulent pas même entendre parler des moyens de se retirer d’un état si malheureux. Je ne parle qu’à ceux qui, ayant autrefois vécu dans le crime, vivent maintenant dans la piété. C’est à ces personnes que je prendrai plaisir de parler ici. Vous avez donc autrefois ravi le bien de vos frères, mais vous vous êtes convertis ensuite, et vous avez donné même votre bien aux pauvres. Comment s’est fait en vous ce grand changement? N’est-ce pas par vous-même et par votre propre volonté? Achevez donc, je vous en conjure, ce que vous avez si bien commencé. Appliquez-vous fermement à faire le bien, et vous ne vous mettrez plus en peine de toutes ces questions inutiles.
Si. nous voulons, le mal ne sera qu’un nom (466) pour nous et n’aura point de réalité. Ne vous mettez donc point en peine de savoir d’où il vient, ni quel en est le principe. Reconnaissez seulement que vous n’y tombez que par votre faute, et fuyez-le de toutes vos- forces. Si quelqu’un vous dit que le mal ne vient pas de nous, répondez-lui : Pourquoi donc vous vois-je si souvent en colère contre votre serviteur, contre votre femme, contre vos enfants, contre ceux qui vous font quelque injustice? Si le mal ne vient pas de ces personnes, pourquoi les en accusez-vous? Pressez-le encore, et dites-lui : Est-ce de vous-même et de votre propre volonté que vous .vous mettez en colère? Car, si cela ne vient pas de vous, il n’est pas raisonnable qu’on vous en blâme. Que, si votre colère vient de vous-même, il est donc clair que ce mal n’a point d’autre principe que votre lâcheté et votre paresse. Je vous demande encore si vous croyez qu’il y ait des gens de bien dans le monde. Car, s’il n’y en a point, comment en avez-vous inventé le nom? Pourquoi leur donnez-vous tant de louanges? S’il est très-certain qu’il y en a, il est indubitable aussi qu’ils s’élèveront contre les méchants, et qu’ils les condamneront pour leur négligence. Si personne n’était volontairement méchant, ces reproches que les bons leur feraient, seraient injustes, et dès lors ils deviendraient eux-mêmes méchants. Car, n’est-ce pas une grande méchanceté que de traiter comme coupable celui qui est innocent? Que, si les bons reprennent les méchants sans cesser d’être bons, et si c’est, au contraire, une des plus grandes marques de leur vertu que de les reprendre, il suit de là clairement que nul n’est méchant par une nécessité forcée, mais seulement parce qu’il veut l’être.
Si, après tout ce que je viens de dire, vous me demandez encore d’où viennent les maux, je vous réponds encore une foi qu’ils viennent de votre lâcheté, qu’ils viennent de votre négligence, qu’ils viennent de ce que vous vivez avec ceux qui sont plongés dans le vice, et de ce que vous méprisez la vertu. C’est là la source de tous les maux: c’est là ce qui donne lieu à demander si inutilement d’où vient le mal. On ne voit point ceux qui vivent chrétiennement, et qui sont dans une piété solide, faire ces demandes vaines et curieuses. Il n’y a que les lâches et les vicieux qui, semblables à des araignées, tirent de leur coeur ces raisons frivoles pour chercher, dans des subtilités sophistiques, de quoi justifier le déréglement de leur vie. Ainsi, ne raisonnons pas seulement avec eux, mais vivons mieux qu’eux, et répondons-leur plutôt par nos actions que par nos paroles. Le mal ne vient point d’une nécessité involontaire. Si cela était, Jésus-Christ n’aurait point dit: « Malheur à l’homme par qui vient le scandale». Car il ne plaint que ceux qui se rendent méchants eux-mêmes. Et ne vous étonnez pas qu’il dise.
Malheur à l’homme « par qui vient le scandale », car il n’entend point par là que ce soit un autre qui agisse par l’organe du méchant; mais que le méchant seul est l’auteur de tout le mal qu’il fait. L’Ecriture, en effet, a coutume d’employer la locution « Di ou » dans le sens de « Uph’ ou » ; par exemple, elle dit (Gen. IV, 1): « Extesaren anthropon dia tou theou », « J’ai acquis un homme par Dieu», exprimant ainsi, non pas la cause seconde, mais la cause première. Elle dit encore (Genès. XL, 8): « Ouxi dia tou Theou e diasaphesis auton estin » « N’est-ce point par Dieu que leur manifestation a lieu »? Et encore (I Cor. I, 9.) : « Pistos oTheos, di ou exletete eis xoinovian tou Uiou autou » « Il est fidèle Dieu par qui vous avez été appelés à partager l’héritage de son Fils».