5.
Car David n’eut jamais la moindre pensée d’usurper sa couronne, et de se mettre en sa place. Au contraire, il s’exposait pour lui dans toutes les occasions, comme un serviteur très affectionné et très-fidèle. Et il est aisé de juger de la disposition où il était alors par ce que nous voyons qu’il fit depuis. Car tant qu’il demeura dans les troupes de Saül, on peut dire qu’il ne lui était pas possible de rien faire contre lui. Mais après que Saül l’eut chassé de ses Etats, qui l’eût empêché, s’il avait eu de mauvais desseins, de soulever le peuple contre lui, et de lui faire la guerre? D’où vient qu’il ne pensa pas alors à se défaire d’un ennemi qui l’avait voulu perdre tant de fois, à qui il n’avait jamais donné le moindre sujet de se plaindre de lui, et qu’il avait toujours servi avec une fidélité inviolable ? Il était très-persuadé que tant que Saül vivrait, il ne serait jamais en repos ni en sûreté ; qu’il serait toujours obligé d’être errant et vagabond et de craindre toujours pour sauver sa vie. Cependant toutes ces considérations ne peuvent le faire résoudre à tremper ses mains dans le sang de Saül. Lorsqu’il le voit seul, qu’il est maître de sa vie, qu’il le trouve assoupi avec tous ses gens d’un profond sommei., que tous les siens l’exhortent à se venger, et qu’ils tâchent de lui persuader que Dieu lui a présenté cette occasion pour se défaire de son ennemi mortel, il les repousse; il les réprimande, il les menace, et il sauve la vie à celui qui la lui voulait ôter. Il accuse même les officiers du roi d’avoir eu si peu de soin de veiller auprès de leur maître, comme s’il fût venu pour le garder et non pas pour le combattre.
Y eut-il jamais rien d’égal à cette générosité et à cette douceur de David? Mais si elle parait grande lorsqu’on la considère en elle-même, elle le paraîtra encore davantage si on la compare avec ce que nous voyons aujourd’hui. Car la vertu des saints paraît encore plus illustre et plus éclatante, lorsque nous la comparons avec l’obscurité et le déréglement de notre vie. Je vous conjure donc, mes frères, d’imiter un si grand saint. Si vous êtes passionné pour la gloire, et que ce désir vous porte à chercher des moyens de vous venger de votre ennemi, ne voyez-vous pas qu’en vous mettant au-dessus de la vengeance, vous acquerrez beaucoup plus de gloire? Car, comme la passion des richesses nous empêche souvent de nous enrichir, ainsi le désir d’être honoré est souvent un obstacle pour acquérir de l’honneur. Et je vous supplie, mes frères, de considérer avec moi en particulier, combien ce que je vous dis est véritable.
Car, comme toutes les considérations des biens du ciel et des supplices de l’enfer vous sont indifférentes et vous touchent peu, il faut que anus tâchions de vous exciter au moins par des considérations plus humaines et plus sensibles. Si vous jugez équitablement des (492) choses, ne verrez-vous pas que les hommes qu’on méprise le plus aujourd’hui sont ceux qui témoignent plus de passion pour la gloire, et qu’au contraire on honore davantage ceux qui la méprisent? Que si le désir de la gloire est un vice, et si le superbe la désire et la recherche, il est clair qu’il est dès lors vicieux et méprisable, et qu’ainsi sa passion pour l’honneur est son déshonneur, Mais les ambitieux s’exposent encore au mépris des hommes en beaucoup d’autres manières. Car cette passion pour la gloire les engage dans mille bassesses et dans des servitudes honteuses; et ils perdent ainsi ce qu’ils voulaient gagner, comme il arrive souvent aux avares.
Que si ceux qui sont possédés d’une passion brutale, en se rendant esclaves et idolâtres des femmes, n’attirent souvent que leurs insultes et leur mépris, il arrive aussi la même chose aux ambitieux. Plus ils veulent s’élever, plus on les rabaisse, et la gloire les fuit d’autant plus qu’ils la recherchent avec plus d’ardeur.
Car les hommes sont superbes et jaloux naturellement: et lorsqu’ils voient un esprit glorieux qui veut s’élever au-dessus des autres, ils prennent plaisir à le combattre et à rabaisser sa présomption et son insolence. De là vient que les orgueilleux, pour conserver à quelque prix que ce soit cette fausse apparence de gloire, s’abandonnent à toute sorte de lâchetés, de complaisances et de flatteries, et qu’ils se prostituent à tout le monde comme des esclaves qui sont à vendre à quiconque les veut acheter.
Que ces vérités, mes frères, nous fassent renoncer à cette passion détestable, afin qu’elle ne nous attire point une punition sévère dans ce monde et une éternelle dans l’autre. Devenons passionnés pour la vertu qui nous rendra heureux et dans cette vie et dans, l’autre, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire et l’empire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.