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Il leur représente l’esprit de domination qui règne chez les païens, afin qu’ils en aient plus d’horreur, et qu’ils le considèrent comme une chose abominable, qui n’est propre qu’aux infidèles et aux idolâtres. L’orgueil, mes frères, n’est qu’une bassesse, et l’humilité est une grandeur solide. Les. grandeurs du monde n’en ont que le nom et l’apparence, mais celle de l’humble est réelle et véritable. Les hommes sont grands par une déférence étrangère que la nécessité et la crainte leur fait rendre; l’humble est grand par une grandeur intérieure, qui tient de celle de Dieu même. Celui qui est grand de cette manière, demeure toujours-ce qu’il est, quand il ne serait connu de personne; mais le superbe n’est digne que de mépris, lors même qu’il est adoré de tous les hommes. L’honneur que l’on rend aux grands du monde est forcé, c’est pourquoi il périt bientôt, mais celui que l’on rend à l’humble est tout volontaire, et ainsi il ne change point.
Nous voyons une preuve illustre de ce que je dis dans tous ces saints, qui ont été d’autant plus humbles à leurs propres yeux , qu’ils étaient plus élevés aux yeux de Dieu. Leur grandeur est la même après leur mort qu’elle a été durant leur vie, et elle se conserve pour jamais dans la mémoire et dans la vénération des hommes.
Que si nous voulons consulter la raison, elle nous aidera encore à comprendre cette même (513) vérité. On est élevé soit parce qu’on est naturellement de haute taille, soit parce qu’on est haut placé. Voyons donc quel est celui qui se trouve dans ces conditions, ou l’homme vain, ou l’homme humble, et nous trouverons qu’il n’y a rien qui nous abaisse davantage que l’orgueil, ni qui nous élève plus que l’humilité. Le superbe veut être le premier de tous. Il regarde tout le monde comme étant au-dessous de lui. Plus on lui rend d’honneur, plus il en désire, et ne comptant point celui qu’il a déjà reçu, il en redemande toujours davantage. Il méprise tous les hommes avec une insolence insupportable, et il veut néanmoins avoir leur estime. Peut-on trouver rien de plus extravagant et qui se contredise davantage? Il aime les louanges de ceux qu’il méprise, et lorsqu’il les foule aux pieds, il veut qu’ils l’honorent. N’est-il pas visible que cet homme si altier rampe par terre, et que son effort pour s’élever n’aboutit qu’à le faire ramper. Vous voulez vous mettre au-dessus de tous les hommes, car c’est là l’esprit de l’orgueil. Vous croyez que, tous les autres ne sont rien au prix de vous. Pourquoi donc voulez-vous être honoré de ceux qui ne sont rien? Pourquoi voulez-voua être .toujours environné d’une troupe de flatteurs?
Vous voyez, mes frères, que rien n’est plus bas ni plus méprisable que cette grandeur imaginaire. Considérons maintenant la grandeur véritable qui est inséparable de l’humilité. L’humble sait ce que c’est que l’homme. Il est persuadé que les hommes sont quelque chose de grand; mais il se croit eu même temps le dernier des hommes; et ainsi il se croit indigne de l’honneur qu’on lui- rend, parce qu’il estime beaucoup ceux qui le lui rendent. Il est toujours élevé. Il est toujours égal à lui-même, et toutes ses pensées s’accordent parfaitement. L’estime qu’il a des hommes lui en donne aussi pour l’honneur qu’il en reçoit, et les moindres déférences lui paraissent grandes. Le superbe, au contraire, estime l’honneur, et méprise en même temps ceux qui l’honorent.
De plus, l’humble n’est point esclave de ses passions. Il n’est ni troublé par la colère, ni possédé par l’orgueil, ni déchiré par la jalousie. Et qu’y a-t-il dans le monde de plus grand qu’une âme affranchie de cet esclavage? Le superbe, au contraire, est comme exposé en proie à ces différentes passions. La colère, l’envie, la vaine gloire déchirent son coeur; et il est semblable à ces insectes qui se plaisent dans l’ordure et qui s’en nourrissent. Lequel des deux vous paraît donc le plus grand? Celui qui est libre de ses passions, ou celui qui en est encore l’esclave? Celui qui les maîtrise, et qui ne s’y laisse jamais surprendre, ou celui qui tremble et qui leur obéit, lorsqu’elles lui commandent quelque chose? De deux oiseaux qu’on vous ferait voir, lequel. diriez-vous qui volerait le plus haut, ou celui qui s’élève au-dessus de tous les piéges et de tous les filets des chasseurs, ou celui qui n’a pas même besoin de filets pour être pris, parce que sa pesanteur l’empêche de s’élever de terre, et que, se servant moins de ses ailes que de ses pieds, il est aisé de le prendre même avec la main? Voilà proprement l’état d’un orgueilleux. Comme il rampe toujours par terre, il est exposé à tous les piéges qu’on lui tend.