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La chute de l’ange est une preuve claire de ce que je dis. Tant qu’il a été humble, il a été élevé au plus haut du ciel, et son orgueil l’a précipité jusques au fond des enfers. L’homme, au contraire, lorsqu’il s’humilie devient si grand et si élevé, qu’il foule aux pieds cet auge superbe selon cette parole de Jésus-Christ : « Foulez aux pieds les serpents et les scorpions (Luc X, 19)», et, après cette vie, il devient égal aux anges. Que si vous voulez voir parmi les hommes une preuve sensible de ce que je dis, souvenez-vous de ce barbare qui commandait une armée si redoutable, qui, ne comprenant pas ce que le sens commun apprend à tous les hommes, ne savait pas qu’une pierre fût une pierre, une idole une idole et ainsi se rabaissait au-dessous des pierres par le culte sacrilège qu’il leur rendait.
L’humble, au contraire, qui honore Dieu et lui est fidèle, s’élèvera jusques au ciel. Ou plu. tôt il pénétrera jusqu’au plus haut des cieux, et passant même au-delà des anges, il se présentera devant le trône de Dieu. Mais je vous prie de me dire lequel des deux est le plut méprisable et le plus abject, ou celui que Dieu protége, ou celui à qui Dieu déclare la guerre? N’est-il pas visible que c’est ce dernier? Et cependant, voici ce que dit l’Ecriture de ces deux sortes de personnes : « Dieu résiste aux « superbes, et il donne sa grâce aux humbles». (Jacques, IV, 6.) Je vous demande encore lequel des deux vous paraît plus grand, celui qui offre sans cesse à Dieu une hostie très-agréable, ou (514) celui qui n’a aucun accès ni aucune confiance auprès de lui ? Vous me demandez quelles sont ces hosties et ces sacrifices que l’humble peut offrir à Dieu. L’Ecriture le dit: « L’esprit affligé est un sacrifice à Dieu, Dieu ne méprisera pas un coeur contrit et humilié»(Psal. L, 17.) Vous voyez donc quelle est la pureté de l’esprit humble, et par, conséquent quelle doit être l’impureté de l’esprit superbe. Car toute âme qui est infectée d’orgueil, est impure devant Dieu.
Nous voyons aussi dans l’Ecriture que Dieu proteste qu’il trouve son repos dans l’humble. «Sur qui jetterai-je les yeux », dit-il, « et sur qui me reposerai-je, sinon sur celui qui est doux et humble, qui tremble à la moindre de mes paroles »? (Is. LXVI, 2.) Ainsi l’humble demeure avec Dieu, et le superbe habitera avec le démon. C’est ce qui a fait dire à saint Paul: « Que celui qui s’enfle d’orgueil, tombera dans le jugement et dans la condamnation du diable ». (I Tim. III, 6.) Mais ce qui est encore plus étrange, c’est qu’il arrive à celui qui est possédé de cette passion tout le contraire de ce qu’il désire. Il a de hauts sentiments de lui-même. Il veut être honoré de tous, il est au contraire méprisé de tous. Sa vanité le rend ridicule, il a tous les hommes pour ennemis, il n’a personne qui le soutienne, il est l’esclave de la. colère, il a une source d’impureté dans le coeur. Qu’y a-t-il de plus misérable qu’une telle vie?
,Mais y a-t-il au contraire rien de plus heureux que celui qui est humble? Il est aimé de Dieu: il est honoré des hommes sans qu’il le désire. Tous le respectent comme leur père, tous le considèrent comme leur frère; et tous le chérissent comme la prunelle de leur oeil. Devenons donc humbles et petits pour devenir grands. Fuyons l’abîme où l’orgueil nous précipite. C’est cette passion qui a perdu Pharaon. Eu se vantant de ne point connaître Dieu, il devint plus méprisable que les rats, que les grenouilles et que les mouches qui le tourmentèrent avec son peuple : et il fut enfin abîmé dans la mer avec toute son armée.
Abraham; au contraire, en reconnaissant de tout son coeur « qu’il n’était que terre et que cendre (Gen. 14)», défit une grande armée de barbares. Etant tombé entre les mains des Egyptiens, Dieu fit un grand miracle pour sauver sa vie et l’honneur de sa femme. II s’attacha toujours à cette vertu, et il crût en grandeur à proportion qu’il croissait en humilité. C’est cette vertu qui l’a couronné, et qui l’a rendu et le rendra célèbre dans la succession de tous les siècles. Pharaon au contraire n’est maintenant qu’un objet d’exécration et d’horreur, et on le foule aux pieds comme de la terre et de la boue. Car Dieu ne hait rien tant que la présomption et l’orgueil. Il a fait toutes choses dès le commencement du monde, pour déraciner de notre coeur cette passion. C’est pour ce sujet que l’homme est devenu mortel, que sa vie est accompagnée de tant de douleurs et de misères, et que Dieu l’a condamné à travailler sans cesse, et à gagner sa vie à la sueur de son visage. N’est-ce pas cette même passion qui perdit le premier homme? Elle lui fit espérer d’être égal à Dieu, et en lui promettant ce qu’il n’avait pas, elle lui fit perdre ce qu’il avait. Car c’est là l’effet ordinaire de l’orgueil. Il ne nous donne point ce qu’il nous promet faussement, et il nous ravit ce que nous avions. L’humilité fait tout le contraire ; elle conserve tous les biens de l’âme, et elle lui en donne encore de nouveaux. Aimons donc cette vertu, mes frères. Travaillons avec ardeur pour l’acquérir et la conserver, afin qu’elle nous rende heureux et dans cette vie et dans l’autre, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui, avec le Père et le Saint-Esprit, est la gloire et l’empire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. (515)