5.
Puis donc que ce sont là les soldats qui combattent chaque jour pour vous contre le démon, exigez de vous-mêmes un tribut pour eux, et contribuez à leur subsistance. Nous avons un Roi qui est bien plus doux que ceux du monde. Il n’exige rien par violence. Il reçoit ce qu’en lui donne, quelque peu que ce puisse être, et s’il arrive que par quelque nécessité vous demeuriez longtemps sans lui rien payer, il ne vous force point de donner ce que vous n’avez pas. Ainsi n’abusons point de sa patience. Amassons-nous un trésor non de colère, mais de grâce et de salut; non de mort, mais de vie; non de confusion et de tourments, mais de joie et de gloire. Il ne sera point besoin de convertir en argent ce que vous avez, ni d’en payer le transport. Il suffira que vous le donniez aux pauvres, votre Seigneur fera tout le reste. Il le transportera dans le ciel, il vous en tiendra un compte exact; et ce sera lui-même qui aura soin pour vous de tout ce trafic qui vous doit enrichir pour jamais.
Ce que vous lui donnez n’est pas comme ce que vous donnez aux rois de la terre. Votre argent périt pour vous, lorsqu’il, est employé pour faire subsister les soldats; mais il vous demeurera tout entier et avec usure. Ce que vous donnez pour les impôts ne vous revient plus; mais ce que vous donnez aux pauvres est toujours à vous, et vous le retrouverez avec un gain, non-seulement temporel, mais même (521) spirituel. En payant les tributs vous vous acquittez d’une dette, mais en donnant aux pauvres, vous mettez votre argent à rente. Dieu vous en passe le contrat lui-même, et il vous dit: « Celui qui a pitié du pauvre, prête à Dieu son argent ». (Prov. XIX, 16.)
Quoiqu’il soit Dieu et le Seigneur de tout le monde, il n’a pas dédaigné toutefois de nous donner des gages, des témoins et des promesses. Ces gages sont le bien qu’il nous fait en cette vie, et tant de grâces temporelles et spirituelles, qui sont comme les arrhes et les prémices des biens à venir.
Comment donc pouvez-vous différer un si heureux commerce, vous qui avez déjà tant reçu’ de Celui à qui vous confiez votre argent, et qui espérez, d’en recevoir encore plus à l’avenir? Avez-vous bien pensé à ce qu’il vous a déjà donné? 11 a formé votre corps, il a créé votre âme; il vous a-honoré du don de la raison et de l’intelligence. Il vous u donné l’usage de tout ce qui se voit sur la terre. Il vous a fait la grâce de le connaître. Il vous a donné son propre Fils, et l’a livré à la mort pour vous. Il vous a ouvert dans le baptême la source de tous les biens. Il vous a préparé une table sainte, il vous a promis un royaume et. des richesses incompréhensibles. Après tant de biens qu’il vous a faits, et tant d’autres qu’il veut vous faire, vous craignez de lui donner un peu d’argent? Méritez-vous après cela qu’il vous regarde?
Quelle excuse alléguerez-vous? Direz-vous que lorsque vous considérez vos enfants, vous ne pouvez vous empêcher d’être retenu dans vos aumônes? Que n’accoutumez-vous, au contraire, vos enfants à cette, usure sainte et spirituelle dont je vous parle? N’est-il pas vrai que si vous aviez une rente sur une personne bien riche, et qui aurait de l’affection pour vous, vous aimeriez infiniment mieux la laisser à vos enfants qu’un argent comptant, parce qu’ils seraient assurés d’être bien payés, sans avoir besoin de retirer leur fonds, et de le placer ailleurs? Laissez-donc à vos enfants Dieu même pour débiteur, et qu’il leur soit redevable d’une grande somme. Vous avez soin de ne point vendre vos terres afin de les laisser à vos enfants, et que le revenu leur en demeure, et vous craignez de leur laisser une rente, dont les arrérages passent le revenu de toutes les terres, et dont le fonds est aussi assuré que Dieu même? Ne faut-il pas avoir perdu la raison pour agir de la sorte, lorsque surtout, laissant à vos enfants le contrat de cette rente, vous l’emportez en même temps avec vous? Car c’est le propre des choses spirituelles de se multiplier ainsi, et de suffire en même temps à plusieurs.
Enfin, mes frères, ne demeurons point pauvres et misérables par notre faute. Ne soyons point cruels et inhumains envers nous-mêmes. Entreprenons de grand coeur ce trafic si louable et si utile, afin que nous en recueillions le fruit après notre mort, qu’il passe encore à nos enfants, et qu’il nous fasse jouir de ces biens ineffables, que je vous souhaite par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui avec le Père et le Saint-Esprit est la gloire, l’honneur et l’empire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. (522)