1.
Jésus-Christ s’en prend maintenant à l’intempérance des pharisiens. Le premier crime qu’il leur reproche sur ce point, et qui en effet était insupportable, c’est qu’ils ne tiraient pas de quoi satisfaire ces excès de bouche du superflu des riches, mais du nécessaire des veuves; surchargeant ainsi des personnes pauvres qu’ils devaient plutôt soulager. Car Jésus- Christ ne dit pas simplement qu’ils mangeaient, mais qu’ils « dévoraient » les maisons des veuves. La manière dont ils commettaient ce crime les rendait encore plus détestables « Sous prétexte, dit-il, que vous faites de longues prières ». Tout homme qui fait une action criminelle mérite d’en être puni; mais celui qui se voile alors d’un prétexte de piété, et qui colore sa malice d’une apparence de vertu, mérite d’en être encore beaucoup plus puni. Vous me demanderez peut-être pourquoi, puisque ces pharisiens étaient si corrompus, Jésus-Christ ne leur ôtait pas un ministère qu’ils usurpaient si injustement? Il ne le fait (566) pas, mes frères, parce que le temps ne le permettait pas encore. Il les laisse cependant dans leur charge, et se contente d’avertir le peuple afin qu’il ne se laisse pas surprendre, et que. la dignité de ces hommes ne le porte pas à les imiter. Après qu’il a donné en. général cette règle : « Faites tout ce qu’ils vous disent », il montre ici comment elle se doit entendre, et comment il faut borner ce mot de « tout » à ce qui est exempt de péché, afin que les moins sages ne prissent pas de là sujet de croire qu’ils pouvaient leur obéir indifféremment en toutes choses.
« Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, qui fermez aux hommes le royaume des cieux, n’y entrant point vous-mêmes, et en empêchant l’entrée à ceux qui y entrent (13) ». Si c’est déjà un crime que de n’être utile à personne, que doit-on attendre lorsqu’on nuit même aux autres, et qu’on leur empêche l’entrée du ciel? Ce mot, « ceux qui y entrent », ne veut marquer autre chose que ceux qui étaient près d’y entrer. Lorsque les pharisiens avaient à diriger les autres, ils leur faisaient des commandements insupportables. Et lorsqu’il s’agissait pour eux-mêmes de remplir leurs devoirs, au lieu de porter les hommes à la vertu par le bon exemple, ils ne servaient qu’à les induire dans le mal et qu’à les corrompre. Ces sortes de gens sont véritablement les fléaux des moeurs et la perte du monde. Ils n’instruisent les âmes que pour leur apprendre à se perdre, et ils sont opposés aux vrais pasteurs comme les ténèbres le sont à la lumière. Car, comme c’est le propre d’un pasteur et d’un docteur de l’Eglise de sauver celui qui allait se perdre, c’est le propre aussi d’un corrupteur et d’un empoisonneur des âmes de perdre celui qu’il devait sauver. Voici une autre accusation que Jésus-Christ exprime avec beaucoup de force:
« Vous courez la mer et la terre pour rendre un seul prosélyte, et quand il l’est devenu, vous le rendez digne de l’enfer deux fois plus que vous (15) ». Cela veut dire: Ces grandes peines et ces longs travaux que vous endurez pour gagner une âme ne peuvent vous porter à l’épargner et à la ménager ensuite, quoique nous voyions tous les jours que nous conservons avec plus de soin ce que nous avons acquis avec plus de peine. Cependant cette considération ne fait point d"impression sur vous, et ne vous rend point plus compatissants envers ceux que vous gagnez. Jésus-Christ reprend donc ici les pharisiens de deux grands désordres : le premier, de ce qu’ils se sont rendus inutiles pour le salut des hommes, et de ce qu’ils ont bien de la peine à en pouvoir convertir un seul; et le second, de ce qu’ils sont si indifférents et si lâches ensuite pour conserver ceux qu’ils ont gagnés, ou plutôt de ce qu’ils les perdent au lieu de les convertir, en leur apprenant à se corrompre par leur exemple, et en étant cause que leurs disciples deviennent encore plus méchants qu’eux. Car si le maître est méchant, le disciple le devient encore davantage, et il dépasse le mauvais exemple qui lui a été donné. Lorsque nous avons d’excellents maîtres, c’est tout ce que nous pouvons faire que de les imiter et d’égaler leur vertu; mais lorsque nous en avons de méchants, nous passons aisément au delà de leur méchanceté, parce que la nature a une facilité et une pente effroyable qui la porte au mal : « Vous le rendez », dit Jésus-Christ, « digne de l’enfer deux fois plus que vous ». Il veut par cette parole effrayer le peuple qui écoutait les pharisiens, et en même temps châtier sévèrement les pharisiens eux. mêmes, ces docteurs d’iniquité, qui ne se bornaient pas à faire leurs disciples aussi méchants qu’eux-mêmes, mais qui les poussaient encore à un plus bas degré de perversité : ce qui est l’extrême limite du mal.
« Malheur à vous, conducteurs aveugles qui dites : Si un homme jure par le temple, cela n’est rien; mais s’il jure par l’or du temple, il est obligé à son serment (16). Insensés et aveugles que vous êtes! Lequel est le plus à estimer, ou l’or, ou le temple qui sanctifie l’or (17)? Et si un homme, dites-vous, jure par l’autel, cela n’est rien; mais s’il jure par le don qui est sur l’autel, il est obligé à son serment (18). Aveugles que vous êtes, lequel est le plus grand, ou le don, ou l’autel qui sanctifie le don (19)? Celui donc qui jure par l’autel, jure par l’autel et par tout ce qui est dessus (20). Et celui qui jure par le temple, jure par le temple et par celui qui y habite (21). Et celui qui jure par le ciel, jure par le trône de Dieu et par celui qui y est assis (22) ». Jésus-Christ attaque ici l’aveuglement et la folie des pharisiens qui portaient les hommes à mépriser les plus importants commandements de la Loi. Il semble néanmoins que le Fils de Dieu se contredise, car il (567) a dit le contraire un peu plus haut, lorsqu’il leur « reprochait de mettre des fardeaux insupportables sur les épaules des hommes ». Mais ce qu’on doit dire ici, mes frères, c’est que les pharisiens tombaient en effet dans l’un et l’autre de ces deux excès contraires. Il semble qu’ils affectaient dans leur conduite tout ce qui pouvait perdre ceux qui leur étaient soumis. Ils leur faisaient mépriser les plus grands commandements, et ils les traitaient en même temps avec une rigueur et une dureté insupportable dans les plus petits.
« Malheur à vous, docteurs de la loi et pharisiens hypocrites, qui payez la dîme de la menthe, de l’aneth et du cumin, pendant que vous négligez ce qu’il y a de plus important dans la Loi, la justice, la miséricorde et la foi. C’est là ce qu’il fallait pratiquer, sans omettre néanmoins ces autres choses (23) ». C’est avec grande raison que Jésus-Christ ajoute ces paroles, « sans omettre néanmoins ces autres choses », c’est-à-dire la dîme de la menthe et du reste dont il parle, parce que la dîme est une espèce de miséricorde et d’aumône, et entre en quelque sorte dans le rang de ces choses importantes dont il parle. Il faut la payer, dit-il; car, à qui a-t-il jamais nui de faire l’aumône? Mais il ne faut pas croire qu’en payant ces dîmes on garde par là toute la loi.
Jésus-Christ témoigne le contraire en disant: « Il faut faire cela, sans omettre néanmoins ces autres choses ».
Il n’ajoute pas cette dernière parole lorsqu’il leur parle de leurs purifications extérieures. Il fait une séparation exacte de ce qui était pur d’avec ce qui ne l’était pas, et il montre que la pureté du dehors n’est que l’effet et la suite de la pureté du dedans, et que la pureté du corps n’allait point jusqu’à se communiquer à l’âme. Comme il ne s’agissait dans cette exactitude à payer les dîmes que d’une chose qui était bonne en elle-même et qui était une espèce d’aumône, Jésus-Christ passe cela sans le condamner, parce qu’il n’était pas encore temps de rien faire contre la Loi. Mais il détruit plus clairement ce qui ne regardait que la purification extérieure des corps. C’est pourquoi, en parlant ici des dîmes, il ajoute aussitôt : « Il fallait pratiquer cela sans omettre néanmoins ces autres choses »; mais lorsqu’il parle de ces vaines purifications, il leur dit: « Vous nettoyez le dehors de la coupe et du plat, pendant que le dedans demeure plein de rapine et d’impureté. Pharisien aveugle, nettoyez premièrement le dedans de la coupe et du plat, afin que le dehors en soit net aussi». Il se sert ici de cette comparaison familière et commune d’un « plat » et d’une « coupe ». Mais, pour montrer ensuite qu’on ne perd rien en négligeant la purification extérieure des corps, et qu’on perdrait tout au contraire en négligeant la pureté intérieure des âmes, dans laquelle consiste toute la vertu, il compare l’une à un « moucheron » à cause de sa petitesse, et l’autre à un « chameau » à cause de sa grandeur et de son extrême importance.