2.
Par combien de considérations différentes Jésus-Christ tâche-t-il de rappeler ces hommes à lui? Il leur a dit d’abord: «Vous condamnez vos pères en disant que vous n’auriez pas avec eux répandu le sans des prophètes, etc. » Cette parole était déjà bien propre à les faire réfléchir; puis il ajoute : « Mais tout en condamnant vos pères, vous faites encore pis »; et ce reproche était bien de nature à les couvrir de confusion. Il les assure de plus que tant de maux ne demeureraient pas impunis, et il les effraie par les menaces de l’enfer. Mais comme ces maux n’étaient que pour l’avenir, il s’efforce enfin de les effrayer par les malheurs qu’ils souffriraient dès cette vie. « Tout cela », dit-il, « viendra fondre sur cette génération ». Il montre par la manière dont il leur parle qu’ils deviendront le plus malheureux peuple qui fut jamais, et que tant de maux néanmoins ne les rendront pas meilleurs.
Que si vous me demandez, mes frères, pourquoi Dieu les punit avec plus de rigueur qu’il n’a jamais puni aucun peuple, je vous réponds que c’est parce qu’ils l’ont plus offensé qu’aucun autre peuple de la terre, et que rien n’a pu retenir leur malice ni dompter la dureté de leur coeur. Ne savez-vous pas ce qu’a dit Lamech? « On s’est vengé sept fois de Caïn, mais on se vengera septante fois sept fois de Lamech ». (Gen., IV, 23.) C’est-à-dire je mérite bien plus de supplices que Caïn. Cependant il n’avait pas tué son frère comme Caïn avait fait. Mais parce que l’exemple et la punition de Caïn ne l’avait pas rendu sage, il fut puni avec cette juste -sévérité. C’est ce que Dieu dit ailleurs : « Je venge les péchés des pères sur « les enfants jusqu’à la quatrième génération ». (Exod. XX, 5.) Ce qui ne veut pas dire que Dieu punisse personne pour les péchés des autres, mais que celui qui a vu dans les siècles qui l’ont précédé, tant d’hommes punis avec rigueur pour les mêmes péchés qu’il commet, sans que cette considération l’ait pu retenir, souffrira lui seul les peines de tous les autres.
Jésus-Christ parle ici avec grande raison « du juste Abel », pour montrer que ce n’était aussi que l’envie qui animait les Juifs contre sa personne. Que pouvez-vous donc dire, ô pharisiens, pour vous excuser? Ignorez-vous quelle vengeance Dieu a tirée de Caïn? Direz-vous que Dieu ne punit point ce parricide et qu’il ne témoigna point combien il l’avait eu en horreur? Ignorez-vous de quelle manière ont été traités vos pères pour avoir tué les prophètes? Ne les a-t-on pas vus souffrir les dernières extrémités, et finir enfin une misérable vie par une plus (575) misérable mort? Comment donc n’êtes-vous point devenus plus sages par ces exemples? Mais ‘pourquoi m’arrêtai-je à vous représenter moi-même ce qu’ont fait et ce qu’ont enduré vos pères? Pourquoi vous, qui les condamnez, les surpassez-vous en malice? N’avez-vous pas prononcé la sentence contre vous-mêmes en disant de quelle manière Dieu devait traiter ceux qui n’étaient que votre figure : « Il fera périr malheureusement les méchants » ? (Matth. XXI, 41.) Et quelle espérance donc vous peut-il rester encore, puisque vous n’avez fait que redoubler vos crimes, après cet arrêt que vous avez prononcé vous-mêmes contre vous-mêmes?
Mais quel est ce « Zacharie » dont Jésus-Christ parle? Les uns croient que c’était le père de saint Jean-Baptiste; les autres que c’était quelque autre prophète, les autres que c’était un prêtre qui avait deux noms, et que l’Ecriture appelle encore ailleurs Judas : « Que vous avez tué », dit-il, « entre le temple et l’autel ». Remarquez, mes frères, deux sacrilèges dans une action des Juifs, puisque non-seulement ils tuaient une personne sainte, mais qu’ils le faisaient même dans un lieu saint. Ces paroles devaient d’une part frapper étrangement les Juifs, et de l’autre consoler beaucoup les apôtres, en montrant à ces derniers qu’avant eux des hommes très-justes avaient été les victimes de la fureur de ce peuple: et en faisant voir aux autres que, puisque Dieu n’avait pas épargné leurs pères, ils devaient s’attendre eux-mêmes à éprouver la rigueur de ses jugements.
Il dit « qu’il leur enverra des prophètes, des sages et des scribes » , pour leur ôter toute excuse. Il ne veut pas qu’ils puissent dire qu’on ne leur avait envoyé que des gentils, et que c’était pour ce sujet qu’ils ne les avaient pas reçus. Ainsi, c’était le seul plaisir qu’ils trouvaient dans ces cruautés et la seule soit du sang innocent dont ils étaient altérés, qui les portaient à ces violences. C’est ce que les prophètes leur ont souvent reproché en leur disant « qu’ils mêlaient le sang au sang, et qu’ils étaient des hommes de sang ». Que si Dieu a bien voulu ordonner dans la loi qu’on lui offrît du sang en sacrifice pour nous témoigner que le sang des bêtes ne lui était pas désagréable, il nous a fait assez juger combien celui des bommes lui devait être plus précieux. C’est ce qu’il marque clairement, lorsque parlant à Noé il lui dit: « Je vengerai tout le sang qui aura été répandu », Il y a beaucoup d’autres endroits semblables par lesquels Dieu défend aux Juifs de verser le sang; il va jusqu’à leur défendre de manger de la chair des bêtes qui auraient été étouffées.
« Je vous envoie des prophètes, des sages et des scribes ». O admirable bonté de Dieu, qui, prévoyant que tous ces prophètes et que tous ces sages seraient inutiles à ce peuple, ne laisse pas néanmoins de les leur envoyer, et de faire de son côté tout ce qu’il peut pour les faire rentrer en eux-mêmes! « Je vous envoie», leur dit-il, « des prophètes », quoique je sois assuré que vous devez les tuer. Il ne fallait que cela pour convaincre la fausseté de ce qu’ils disaient, « qu’ils ne se fussent jamais joints avec leurs pères pour répandre le sang des prophètes ». Car ils en ont aussi tué eux-mêmes dans les synagogues sans avoir aucun respect ni pour leurs personnes sacrées, ni pour la sainteté du lieu. Car ce n’était point des hommes ordinaires qu’ils sacrifiaient à leur fureur. Ils s’attaquaient aux prophètes mêmes de Dieu, et ils les tuaient cruellement pour rendre muettes ces bouches saintes, dont ils ne pouvaient plus souffrir les reproches.
Il marque par ces « prophètes » et ces «sages », ses apôtres et ceux qui les accompagneraient ou qui viendraient après eux, parmi lesquels il y en avait beaucoup qui étaient prophètes. Et pour augmenter encore la crainte de ces menaces, il ajoute : « Je vous dis en vérité que tout cela viendra fondre sur cette «génération ». Je ferai fondre sur vous, leur dit-il, tous les maux dont j’ai puni ceux que vous imitez, et je tirerai de vous une vengeance proportionnée à votre opiniâtreté et à la dureté de votre coeur. Car celui qui, voyant les crimes et la punition de ceux qui ont été avant lui, non-seulement n’en devient pas plus sage, mais se rend encore plus coupable qu’eux, mérite sans doute d’être puni avec plus de rigueur que tous les autres. Il aurait pu beaucoup profiter de l’exemple des autres pour se rendre meilleur; mais, puisque rien ne peut le corriger, il devient d’autant plus criminel, que l’image du supplice des autres n’a pu l’empêcher de commettre les mêmes choses dont ils ont été punis.