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Mais comment cela se pourra-t-il faire, me direz-vous, et comment pourrons-nous étouffer tous ces désirs? Voyez ce qu’il vous dit au même endroit : « Ne vous faites point de trésors dans la terre, où les vers et la rouille les mangent, et où les voleurs les déterrent et les dérobent ». (Ibid. VI, 9.) Vous voyez, mes frères, combien Jésus-Christ s’efforce de nous éloigner du désir des biens d’ici-bas, parla considération du lieu ou nous les mettons en dépôt; de la terre et des accidents qui nous les font perdre, tels que les vers, la rouille et les voleurs, afin que cette vue nous porte à prendre pour le dépositaire de tous nos trésors, Dieu même qui nous les gardera avec une sûreté entière. Car si vous vouiez mettre vos richesses dans un lieu où ni la rouille ni les voleurs ne leur puissent nuire, vous vous guérirez sans peine de votre avarice, et votre âme s’enrichira des biens véritables et spirituels.
Jésus-Christ ajoute à cela un exemple étonnant et capable de vous toucher. Il imite les médecins qui, craignant pour leurs malades, leur disent : Un tel est mort pour avoir bu de l’eau froide dans ses accès. (Matth. XIX.) C’est (579) ainsi que le Fils de Dieu fait paraître un riche qui, frappé de cette maladie dont nous parions, et désirant néanmoins la santé avec ardeur, ne put la recouvrer à cause de cette étrange attache qu’il avait à ses richesses. Un autre évangéliste rapporte encore l’exemple d’un autre riche qui ne peut au milieu des flammes trouver une goutte d’eau pour désaltérer sa soif. (Luc, XVI, 24.)
Jésus-Christ, pour montrer ensuite que les ordonnances qu’il nous donne sont aisées à pratiquer, ajoute ces mots: « Considérez les « oiseaux du ciel ». (Matth. VI, 26.) Mais cet adorable Médecin des âmes a tant de condescendance pour votre faiblesse, que, bien que vous soyez riche, et par conséquent dans un état dangereux pour votre salut, il vous défend néanmoins d’en désespérer, et vous assure lui-même que « ce qui est impossible « aux hommes, est possible à Dieu ». (Matth. XIX, 26.) Ainsi, quoique vous soyez riche, vous pouvez encore vous sauver, puisque Dieu ne vous a pas tant défendu d’être riche, que de vous attacher à vos richesses et d’en devenir l’esclave et l’idolâtre.
Que doit donc faire un riche afin qu’il se puisse sauver? Il faut que tout ce qu’il possède lui soit commun avec les pauvres, comme le bienheureux Job vous dit lui-même qu’il faisait. Il faut qu’il arrache de son coeur tout l’amour de ce qui est superflu, qu’il mette des bornes à ses désirs, et qu’il ne passe point au delà des règles de la nécessité. Jésus-Christ vous montre encore l’exemple d’un publicain qui, après avoir été longtemps possédé de cette passion si basse, en fut guéri tout d’un coup. Il passa en un moment d’une avarice insatiable dans un mépris prodigieux de l’argent, parce qu’il obéit fidèlement aux avis et aux ordonnances de son Médecin. Tous les disciples que Jésus-Christ a eus ont été d’abord attaqués des mêmes maladies que nous, et ils en ont été guéris sans beaucoup de peine. Le Sauveur nous les propose tous pour modèles, afin que nous ne désespérions point de nous-mêmes. Jetez donc les yeux sur ce publicain qui est devenu Evangéliste. Voyez aussi cet autre chef des publicains, nommé Zachée, qui se résolut tout à coup à rendre au quadruple tout ce qu’il avait volé, et à donner la moitié de son bien aux pauvres pour se rendre digne de recevoir Jésus-Christ.
Mais vous avez peut-être une ardeur furieuse pour le bien : Suivez-moi donc, vous dit le Sauveur, et vous serez riches. Regardez tout le bien des autres hommes comme étant à vous. Je vous donne plus que vous ne pouvez demander. Je vous ouvre les maisons de tous les riches qui sont dans toute la terre. Car «celui qui abandonnera pour moi son père, sa mère, ses terres ou sa maison, en recevra le centuple », (Matth. XXIX.) Ainsi, non-seulement vous retrouverez plus que vous n’avez quitté, mais vous éteindrez même cette soif si extrême qui vous brûle; vous supporterez plus doucement tous les accidents de la vie, et vous mépriserez non-seulement le superflu, mais souvent même le nécessaire. Ainsi, saint Paul souffrait quelquefois la faim, et il s’en réjouissait plus que des festins et de la bonne chère, parce qu’un athlète qui combat pour remporter la victoire, ne peut préférer un lâche repos à un combat qui se termine par une fin si glorieuse : et un marchand, qui a éprouvé une fois combien on gagne en trafiquant sur la mer, ne peut plus se résoudre à vivre chez lui dans l’oisiveté et dans la mollesse. Ainsi, quand nous aurons commencé à avoir quelque goût des biens du ciel, nous n’en aurons plus pour les biens de la terre, lorsque nous goûterons et nous nous trouverons saintement enivrés d’un plaisir céleste. Goûtons donc ces délices sacrées, mes chers frères, pour jouir d’une véritable paix, et dans cette vie et dans l’autre, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire et l’empire maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. (580)