2.
Quoique vous ne soyez qu’un homme et qu’un peu de poudre, vous osez dire néanmoins que vous connaissez l’essence divine, et vous niez que Jésus-Christ connaisse quand le jour du jugement arrivera, lui qui est le Fils du Père éternel et qui demeure éternellement dans: son sein? L’une de ces connaissances n’est-elle pas infiniment élevée au-dessus de l’autre? Comment donc vous en attribuez-vous une qui est si excellente, lorsque vous en refuser une beaucoup moindre au Fils de Dieu, « en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science »? Mais quoique fous croyiez connaître l’essence de Dieu ; je vous soutiens néanmoins que vous ne la connaissez pas, au lieu que le Fils de Dieu ne peut ignorer ce jour, et qu’il le connaît très-distinctement.
Après donc que Jésus-Christ nous a marqué tout ce qui doit précéder ce jour, et qu’il nous a montré ces temps comme tout proches , jusqu’à dire « qu’il était déjà aux portes », il ne veut pas nous déclarer le moment précis auquel arrivera ce jour, pour arrêter notre curiosité. Il semble qu’il nous dise : Si vous êtes assez curieux pour désirer de savoir quand viendra ce jour, je vous déclare par avance que je ne vous le dirai pas; mais si vous ne me demandez que les signes qui le préviendront, je ne vous les célerai pas, et je vous les marquerai même dans toutes leurs circonstances. Je vous ai assez fait voir que ce jour ne m’était pas inconnu. Je vous ai assez marqué les temps et particularisé les choses qui arriveront alors. Je vous ai laissé concevoir par la parabole du figuier, combien il y aurait d’intervalle depuis ce temps que je vous marque jusqu’à ce dernier des jours. Enfin, je vous ai conduits jusqu’aux portes, et si je ne veux pas vous les ouvrir, c’est pour votre bien. Mais pour leur donner encore une autre preuve que ce n’est point par. ignorance qu’il refuse de leur déclarer ce jour, il ajouta encore un autre signe à celui qu’il vient de dire.
« Comme un peu avant le déluge les hommes mangeaient et buvaient , épousaient des femmes, et mariaient leurs filles jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche (38). Et qu’ils n’eurent aucune connaissance du déluge jusqu’à ce qu’il fut arrivé, et qu’il eut emporté tout le monde, il en sera de même à l’avènement du Fils de l’homme (39)». Il (598) témoigne, par ces paroles, que, lorsqu’il viendra, il surprendra les hommes dans leurs plaisirs, et qu’ils ne s’attendront point à le voir. Saint Paul dit la même chose : « Lorsqu’ils se diront : Nous sommes en paix et en sûreté, ils seront surpris tout d’un coup par une ruine soudaine (I Thess. V, 3)»; et pour montrer encore mieux combien cette ruine serait inespérée, l’Apôtre ajoute: «Comme une femme grosse est surprise par les douleurs de l’enfantement». Mais comment peut-on allier ces deux choses si contraires, et comment Jésus-Christ dit-il - « Aussitôt après ces jours d’affliction », puisque saint Paul, au contraire, dit que ce seront des jours de divertissements et de réjouissance ! Comment peut-on accorder la paix et la sûreté avec les afflictions et les maux? Je réponds que les insensés regarderont ces temps comme des temps de paix et de toutes sortes de biens. C’est pourquoi saint Paul ne dit pas : « Lorsqu’ils seront en paix et en sûreté », mais « lorsqu’ils diront: Nous sommes en paix et en sûreté », se servant à dessein de cette expression pour nous marquer leur insensibilité, qui sera semblable à celle des hommes qui vivaient du temps de Noé, lesquels ne laissaient pas de passer leur vie dans les délices, quoique menacés de tant de maux. Mais les justes n’auront rien de cette dureté si insensible et de cette étrange frénésie, puisqu’ils passeront alors toute leur vie dans la douleur. et dans l’amertume.
Jésus-Christ nous apprend ici que lorsque l’Antéchrist viendra, les pécheurs et tous ceux qui auront désespéré de leur saint, s’abandonner6nt à toutes sortes de plaisirs. Tout le monde sera plongé dans le luxe, dans les festins et la bonne chère. Et il cite un exemple qui a beaucoup rapport au sujet. Comme au temps de Noé, la vue même de l’arche qu’on bâtissait ne pouvait persuader les hommes que le déluge arriverait, et qu’ils ne laissaient pas de vivre toujours dans les délices, comme si Dieu ne les eût point menacés; de même lorsque l’Antéchrist viendra, et qu’il traînera avec lui l’horreur et l’effroi par une infinité de maux dont sa venue sera accompagnée, les hommes néanmoins n’en auront aucune crainte. Ils vivront dans une entière assurance, parce qu’ils seront possédés de leurs plaisirs comme d’une ivresse profonde qui leur ôtera tout le sentiment et toute l’appréhension de l’avenir. C’est ce qui fait dire à saint Paul que les hommes seront aussi surpris de ces malheurs, « que l’est une femme grosse par les douleurs de l’enfantement».
Mais pourquoi Jésus-Christ ne rapporte-t-il pas plutôt l’exemple des Sodomites que celui de Noé? C’est parce qu’il aimait mieux rapporter l’exemple d’un malheur général et universel, afin que les coeurs les plus endurcis et les plus incrédules en fussent étonnés, et qu’ils jugeassent par le passé de ce qu’ils devaient craindre pour l’avenir. il marque aussi, en rapportant cet exemple, qu’il est l’auteur de l’Ancien Testament et qu’il a fait tout ce qui est écrit, et il dit ensuite des choses qui font assez voir qu’il n’ignore pas quand viendrait ce jour.
« Alors de deux qui seront dans un champ, l’un sera pris et l’autre laissé (40). De deux femmes qui moudront dans un moulin, l’une sera prise et l’autre laissée (41) ».
Toutes ces circonstances, comme j’ai dit, font voir que Jésus-Christ n’ignorait pas quand viendrait le jour dont il parle, mais qu’il veut ôter aux apôtres le désir de s’en informer. Il connaît ce temps puisqu’il le compare aux jours de Noé; il le connaît puisqu’il dit « que de deux qui seront dans la campagne, l’un sera pris et l’autre laissé »; montrant en outre par ces paroles qu’il surprendrait indubitablement le monde; et qu’il viendrait lorsque tous les hommes seraient dans la paix et dans le repos. Il dit aussi qu’il y en aurait deux dans « le moulin», pour montrer encore le peu. de crainte qu’on aurait de son dernier avènement. Enfin, il fait voir, par ces divers exemples-, qu’il prendra et qu’il laissera indifféremment les esclaves et les maîtres : ceux qui vivent dans une pleine paix, ou dans le travail ; ceux qui. sont dans les dignités ou dans les emplois les plus vils; et comme il est dit dans l’Ancien Testament : « depuis celui qui est assis sur le trône jusqu’à la dernière esclave qui travaille dans un moulin ». (Exod. XI,15.)
Comme Jésus-Christ avait déjà marqué avec quelle difficulté les riches se sauveraient, il montre au contraire ici qu’ils ne périraient pas tous, et que les pauvres ne seraient pas tous sauvés. Il assure qu’il s’en sauverait et qu’il en périrait de part et d’autre. Je crois qu’on peut encore conclure des paroles de Jésus-Christ qu’il viendra durant la nuit, et il (599) semble que saint Luc autorise ce sentiment: « Je vous dis qu’en cette nuit», dit cet évangéliste, « deux seront dans le lit, et que l’un sera pris et l’autre laissé » (Luc, XVII, 35.) Tout ceci, mes frères, ne fait-il pas voir combien Jésus-Christ pénétrait dans l’avenir? Enfin, pour prévenir toutes les questions-superflues de ses disciples, il dit : « Veillez donc parce que vous ne savez pas à quelle heure votre Seigneur doit venir (42) ». Il ne dit pas qu’il ne le sait point, mais que ses apôtres ne le savent pas : « Vous ne savez pas à quelle heure votre Seigneur doit venir ». Après les avoir insensiblement conduits jusqu’à l’heure et comme au moment auquel son avènement doit arriver, et qu’il leur en a parlé avec tant d’étendue, il quitte aussitôt ce sujet, et il-les entretient d’autres choses, afin qu’ils se préparent et qu’ils s’encouragent au combat. «Veillez », leur dit-il, leur montrant que ce n’est que pour ce sujet qu’il leur cèle ce jour dont il leur parle.