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Quel est donc l’aveuglement de ce traître qui ne change point pour être assis à cette table divine, et qui demeure toujours le même après avoir participé à de si redoutables mystères? C’est ce que veut montrer saint Luc, lorsqu’il dit : « Qu’après cela le démon entra en lui »; il y entre non pour insulter au corps du Sauveur, mais pour punir l’insolence du traître. Deux circonstances aggravaient le crime de Judas; d’abord il avait osé approcher d’une table si sainte avec une disposition si criminelle; ensuite, bien loin de tirer aucun fruit d’une telle grâce et d’un tel honneur, il en avait abusé sans aucune crainte. Le Fils de Dieu n’éloigna point cet homme, bien qu’il pénétrât le fond de son coeur, pour nous faire voir qu’il ne voulait rien omettre de tout ce qui pouvait servir à le corriger. Nous avons déjà vu, et on le pourra voir encore dans la suite, qu’il lui représentait continuellement son crime, et qu’il cherchait à l’en détourner par ses paroles et par ses actions, par la crainte et par les menaces, par les honneurs et par les services qu’il lui rend. Mais rien ne put le fléchir. C’est pourquoi le Sauveur le laisse enfin à lui-même, et donnant toutes ses pensées au soin de ses autres disciples, il les avertit encore par ces mystères sacrés de sa mort qui s’approchait. Il les entretient de sa croix pendant la cène, et il veut prévenir leur trouble et leur abattement, en leur prédisant si souvent ces choses. Si, après tant de prédictions en actions et en paroles, ils ne laissent pas que de se troubler, qu’auraient-ils donc éprouvés, s’ils n’avaient point été avertis d’avance ? « Et comme ils mangeaient, Jésus prit du pain et le rompit».
Pourquoi Jésus-Christ a-t-il institué ce mystère au temps de la Pâque? C’est pour nous montrer par toutes ces actions que c’est lui-même qui a établi l’ancienne Loi, et que tout ce qu’elle. contient n’était que des figures et des ombres qui avaient rapport à la Loi nouvelle. C’est pour cette raison qu’il a joint la vérité à la figure. Cette heure u du soir » qu’il choisit pour faire la Pâque nous marquait que les temps étaient accomplis, et que les choses étaient sur le point d’avoir bientôt leur dernière fin.
Il rendit grâce à Dieu son Père, afin de nous enseigner comment nous devons célébrer ce saint mystère , et tout ensemble pour nous (32) faire voir qu’il allait volontairement à la mort. Il le fit aussi pour nous apprendre à recevoir avec action de grâces tous les maux que nous souffrons, et pour fortifier et affermir notre espérance. Car si la figure a eu tant de force que de délivrer tout un peuple d’une dure captivité, combien plus la vérité aura-t-elle le pouvoir de tirer tout l’univers de la servitude, et de combler de biens tous les hommes?
C’est pourquoi il n’avait point voulu leur faire part de ces mystères avant le moment où la Loi devait cesser. Il abolit la première et la principale de leurs fêtes, et les fait passer à une autre Pâque pleine d’une sainte frayeur. « Prenez », leur dit-il, « et mangez. Ceci est mon corps qui est livré pour vous ».
Comment n’ont-ils point été troublés en entendant ces paroles? Parce que déjà auparavant il leur avait dit plusieurs grandes choses de ce mystère. Voilà pourquoi il leur dit ici cette parole sans aucun préambule, les jugeant assez préparés à l’entendre. Il leur découvre la cause de sa passion, c’est-à-dire « la rémission des péchés ». Il appelle ce sang, « le sang de la nouvelle alliance », c’est-à-dire de la promesse de la Loi nouvelle. Car c’est ce qu’il a promis de nouveau, et c’est par ce sang que la nouvelle alliance est confirmée. Et comme l’ancienne avait pour son partage le sang des bêtes qu’elle immolait, de même la nouvelle a pour le sien le sang du Seigneur.
Il témoigne encore par ces paroles qu’il s’en va mourir, et c’est pour cela qu’il parle de «Testament », et qu’il nous remet en mémoire cet Ancien Testament qui avait été aussi scellé et consacré avec le sang. Puis il déclare la cause de sa mort en disant: « Que ce sang sera répandu pour plusieurs, afin d’effacer leurs péchés ».
Il dit ensuite: « Faites ceci en mémoire de « moi ». On voit par ces paroles comment il veut nous retirer de l’observation des coutumes judaïques. Car, comme vous faisiez autrefois la Pâque en mémoire des miracles que vos pères avaient vu faire en leur faveur dans l’Egypte, de même vous ferez ceci en mémoire de ce que je fais maintenant pour vous. Le sang dont les portes des Israélites furent alors teintes, n’était que pour sauver les premiers nés; mais celui-ci est répandu pour la rémission des péchés du monde entier. « Car ceci», dit-il, « est mon sang qui sera répandu pour la rémission des péchés».
Or, il voulait faire connaître à ses disciples que sa passion et sa croix était un mystère, et apporter ainsi quelque consolation à leur douleur; et comme Moïse avait dit : « Ceci vous servira d’une mémoire éternelle »; de même Jésus-Christ dit à ses disciples : « Faites ceci en mémoire de moi, jusqu’à ce que je vienne». Et c’est pour cette raison qu’il ajoute : « J’ai désiré d’un grand désir de manger cette Pâque avec vous », c’est-à-dire, de vous donner des choses nouvelles et de vous faire part d’une Pâque qui vous rendra spirituels. Il en but aussi lui-même de peur que les disciples, ayant ouï ces paroles, ne disent: Quoi ! buvons-nous du sang et mangeons-nous de la chair? et qu’ainsi ils ne se troublassent comme plusieurs Juifs avaient déjà fait, lorsqu’il avait seulement parlé de ce mystère. Il leur montre donc l’exemple, afin de les faire approcher avec un esprit tranquille de la communion de ses mystères.
Mais faut-il donc, direz-vous, célébrer aussi l’ancienne Pâque? Point du tout, puisque Jésus-Christ ne nous a dit : « Faites ceci », que pour nous retirer de la Pâque ancienne. Et s’il opère en celle-ci la rémission des péchés, comme il le fait en vérité, n’est-il pas superflu de célébrer cette ancienne cérémonie légale? Comme il avait donc voulu que la première Pâque servît aux Juifs d’un monument éternel des grâces qu’il leur avait faites; il veut ici de même que cette nouvelle Pâque serve aux chrétiens pour leur rappeler éternellement dans la mémoire le souvenir des dons infinis de leur Sauveur. Il veut par cette conduite fermer la bouche aux hérétiques, parce que, lorsqu’ils demandent où est la preuve certaine qu’il a été immolé, nous les réduisons au silence en leur alléguant entre plusieurs autres raisons les saints mystères. Car si Jésus-Christ n’est pas mort, de qui ce sacrifice que nous célébrons est-il le symbole?