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Ce n’est pas seulement à vous qui êtes participants des sacrés mystères, mais c’est aussi à vous autres qui en êtes les dispensateurs et les ministres que j’adresse mon discours, puisque la dispensation de ces dons divins vous étant commise, il est important de vous avertir de la faire avec beaucoup de circonspection et de soin. Car vous êtes menacés d’un grand châtiment, si, sachant qu’un homme est pécheur, vous ne laissez pas de le recevoir à cette table, et Jésus-Christ vous demandera compte de son sang, si vous le faites boire à des indignes. S’il s’en présente donc quelqu’un, quand ce serait un général d’armée, quand ce serait un grand magistrat de l’empire, quand ce serait l’empereur même, empêchez-le de s’approcher de l’autel. Car vous avez une plus grande puissance que lui. Or, ce n’est pas pour que vous paraissiez revêtu d’une tunique blanche et éclatante, que Dieu vous a honorés du ministère des autels, mais afin que vous fassiez le discernement de ceux qui sont dignes ou indignes de la participation des saints mystères. C’est en cela que consiste la dignité de votre charge.
Si l’on vous avait commis le soin de garder pour un troupeau de brebis l’eau claire et paisible d’une fontaine très-pure, souffririez-vous qu’une brebis, dont la bouche serait toute souillée de boue, s’en approchât pour la troubler? Et lorsqu’on vous a confié la source et la fontaine sacrée, non d’une eau, mais du sang et de l’esprit, pouvez-vous, lorsque vous voyez des personnes noircies de crimes, en approcher pour la corrompre, ne pas entrer dans une juste indignation , et ne les en pas repousser? Quel pardon mériteriez-vous pour une indifférence criminelle?
Vous me demandez comment il est possible que vous connaissiez en détail et en particulier la vie de chacun de votre peuple. Je ne vous parle point ici des personnes qui vous sont inconnues; mais de celles que vous connaissez. Il faut que je vous dise une chose tout à fait étonnante et effroyable : c’est lin moindre mal de laisser entrer des démoniaques dans l’Eglise pour participer aux sacrifices, que d’y admettre ceux dont saint Paul dit: « Qu’ils foulent aux pieds Jésus-Christ, qu’ils tiennent pour impur le sang de son alliance, et qu’ils font injure à la grâce de son Esprit-Saint ». (Hébr. V.) C’est qu’en effet celui qui se reconnaissant coupable de péché s’approche de l’Eucharistie, est bien pire qu’un possédé. Car les possédés ne seront pas punis de Dieu pour avoir été tourmentés par les démons; mais ceux qui communient indignement seront précipités dans les tourments éternels.
Chassons donc sans aucune considération de personne, nous qui sommes les dispensateurs des saints mystères, tous ceux que nous verrons être indignes de s’en approcher. Que personne n’y participe qui ne soit des disciples de Jésus-Christ. Que personne ne reçoive cette nourriture sacrée avec un esprit impur comme Judas, de peur qu’il ne tombe dans les mêmes peines que lui. Cette multitude des fidèles est aussi le corps de Jésus-Christ. C’est pourquoi vous qui avez la charge de dispenser les sacrés mystères, n’irritez pas la colère du Seigneur en manquant à purger ce corps, ainsi que vous le devez, et ne présentez pas une épée tranchante au lieu d’une viande salutaire. Si donc quelqu’un a perdu le sens jusques au point de s’approcher avec indignité dé la sainte table, rejetez-le hardiment sans vous laisser ébranler par aucune crainte. Craignez Dieu et non pas les hommes. Car si vous craignez les hommes, les hommes mêmes que, vous craindrez (39) se joueront de vous: mais si vous ne craignez que Dieu seul, les hommes mêmes vous révéreront.
Que si vous n’osez chasser les indignes de l’autel sacré, dites-le moi, et je ne permettrai pas qu’ils s’en approchent. Car je perdrai plutôt la vie que de donner le corps du Seigneur à celui qui en est indigne, et je souffrirai plutôt que l’on répande mon sang, que de présenter un sang si saint et si vénérable à celui qui n’est pas en état de le recevoir. Si quelqu’un s’approche indignement de cette table sans que vous le sachiez, ce n’est plus votre faute, pourvu que vous ayez auparavant appliqué tous vos soins à reconnaître ceux qui en sont dignes ou ne le sont pas. Je ne parle ici que des personnes que l’on connaît publiquement, et qui sont manifestement scandaleuses.
Quand nous aurons accompli notre devoir à l’égard de ces personnes, Dieu nous fera connaître ensuite aisément les autres. Mais si nous admettons à la participation des saints mystères des personnes que nous savons être dans le crime, à quoi servirait que Dieu nous découvrît celles qui sont dans des crimes cachés?
Je dis ceci, mes frères, non afin que nous bornions tout notre zèle à retrancher seulement et séparer de la communion ceux qui n’en sont pas dignes; mais afin que nous travaillions encore à les corriger, à les rappeler dans leur devoir, et à prendre un soin particulier pour tout le monde. Car c’est ainsi que nous nous rendrons Dieu favorable, que nous multiplierons le nombre de ceux qui pourront communier dignement, et que nous recevrons les récompenses que Dieu rendra à notre vertu particulière, et au soin si charitable que nous aurons eu de nos frères. C’est ce que je vous souhaite par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire et l’empire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. (40)