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Mettez-vous donc votre gloire à être riches, ou à vous parer avec l’or et les diamants? Quand votre bien serait acquis le plus justement qu’il pourrait être, vous seriez néanmoins très-coupables de le prodiguer en ces folies. Mais comme il est souvent le fruit des rapines et de l’injustice, que sera-ce que d’user si mal d’un bien mal acquis? Si vous aimez l’honneur solide, quittez tout ce faste, et le monde vous admirera, votre modestie fera votre gloire et vous comblera de joie. Mais maintenant votre vanité est votre honte, et elle est encore votre supplice. Car outre la perte que cause tout ce luxe, quel désordre est-ce dans une maison, lorsqu’une perle ou une pierre précieuse vient à s’égarer? On maltraite les femmes de service; on tourmente les hommes. On chasse les uns et on emprisonne les autres. On soupçonne, on accuse, on plaide; le mari querelle la femme et la femme le mari, ils se brouillent même avec leurs amis; ils font de la peine à tout le monde, et encore plus à eux-mêmes.
Mais supposons que vous ne perdiez rien, ce qui néanmoins est très-difficile : N’est-ce pas toujours une peine bien grande, que de garder avec tant de soin des meubles si inutiles que ces objets de toilette? Car ils ne servent ni à votre maison ni à votre personne. Ils incommodent l’une et la tiennent dans l’inquiétude, et ils déshonorent l’autre.
Comment pourriez-vous, étant ainsi parée, embrasser et baiser les pieds de Jésus-Christ, comme ces saintes femmes de notre Evangile, puisqu’il a ce faste en horreur? C’est pour cette raison qu’il a voulu naître dans la maison d’un charpentier, et non pas même dans sa maison, mais dans une étable. Comment oseriez-vous donc vous présenter à lui, n’ayant aucun des ornements qui lui sont chers et précieux, mais en ayant d’autres qui lui sont insupportables? Celui qui veut s’approcher de lui, doit se parer non d’or et de perles, mais de vertus.
Car enfin qu’est-ce que cet or que vous aimez tant, sinon un peu de terre qui, mêlée avec de l’eau, serait de la boue? C’est donc cette terre qui est votre idole; c’est de cette boue que vous vous faites un Dieu que vous portez partout, comme s’il était votre félicité et votre gloire. Vous n’épargnez pas même le temple de Dieu, dont la sainteté ne devrait pas être violée par votre luxe. Car l’Eglise n’a pas été bâtie afin que vous y veniez étaler vos vanités. On y doit paraître riche, mais en grâce et en vertu, et non en or et en diamants. Cependant vous vous parez pour y venir, comme si vous alliez au bal, ou comme les comédiennes qui vont paraître sur le théâtre, tant vous avez soin que tout conspire à vous faire regarder, c’est-à-dire, à vous faire moquer de ceux qui vous voient. C’est pourquoi j’ose vous dire que vous êtes ici comme une peste publique, qui tue non les corps mais les âmes. Quand cette sainte assemblée est finie, et que chacun retourne chez soi, on ne s’entretient que de vos vanités et de vos folies. On oublie les (84) instructions importantes que saint Paul ou les prophètes nous y ont données; on ne s’entretient que du prix de vos belles étoffes et de l’éclat de vos pierreries.
C’est l’attachement à ces vanités qui vous rend aujourd’hui si froides à faire l’aumône. Il est bien rare de trouver aujourd’hui une femme qui veuille se résoudre à vendre quelque chaîne d’or ou quelqu’une de ses pierreries pour nourrir un pauvre. Et comment pourraient-elles renoncer au moindre de ces ornements pour en assister les misérables, puisqu’elles aimeraient mieux souffrir elles-mêmes les dernières extrémités que de s’en priver? On en voit de si passionnées pour tous ces ajustements, qu’elles ne les aiment pas moins que leurs propres enfants. Si vous dites que cela n’est pas, témoignez-le donc par vos actions, puisqu’elles m’assurent du contraire de ce que vous dites.
Qui d’entre toutes ces femmes qui sont attachées à ces folies, a donné jamais une perle pour sauver son fils de la mort? Mais que dis-je pour sauver son fils? Quelle est celle qui a donné quelque chose pour se sauver elle-même? On les voit perdre les journées entières pour étudier ces ajustements. Lorsqu’elles ressentent la moindre maladie du corps, elles font tout pour s’en délivrer; et lorsqu’elles ont l’âme percée de plaies, elles ne veulent rien faire pour la guérir. Elles voient périr leurs âmes et leurs enfants, et elles ne s’en mettent point en peine, pourvu qu’elles conservent cet or et cet ornement que le temps gâte peu à peu. Vous donnez mille talents pour être toute vêtue d’or, et les membres de Jésus-Christ n’ont pas même du pain à manger. Dieu, qui est le maître du pauvre comme du riche, a préparé également le ciel à l’un et à l’autre, et il leur fait part à tous deux indifféremment des richesses de sa table spirituelle. Et cependant vous ne voulez pas que le pauvre ait aucune part, ni à votre bien, ni à votre table. Vous êtes esclaves de ce que vous possédez, et vous ne pensez qu’à appesantir vos chaînes.
C’est là la source d’une infinité de maux, de ces jalousies cruelles, et de ces adultères qui déshonorent la fidélité du mariage, lorsqu’au lieu de porter les hommes par votre exemple à l’amour de la chasteté et de la modestie, vous leur apprenez au contraire à aimer toutes ces choses dont se parent les femmes prostituées. C’est là ce qui les fait tomber si facilement. Si vous leur appreniez à mépriser tout ce luxe et à se plaire dans la modestie, dans l’humilité et dans toutes les vertus, ils ne seraient pas si susceptibles de ces passions qui perdent leurs âmes; et vous vous distingueriez ainsi des comédiennes et des femmes débauchées, qui peuvent bien se parer de l’éclat des diamants, mais non de celui des vertus.
Vous donc, ô femme chrétienne, accoutumez votre mari à aimer en vous ce qu’il ne saurait jamais trouver dans ces courtisanes. Et comment l’y accoutumerez-vous, sinon en renonçant vous-même à ces ornements criminels, et eu vous rendant digne de respect et d’amour par votre modestie et votre sagesse? Ainsi le bonheur de votre mariage sera en sûreté, votre mari, dans la joie, et vous, en honneur. Dieu vous bénira, et les hommes vous admireront, et vous passerez de cette vie à celle du ciel, que je vous souhaite, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire et l’empire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. (85)