2.
Mais que direz-vous de ces suaires qui étaient pleins de parfums, que saint Pierre vit dans le sépulcre? Si les apôtres avaient dérobé le corps, ne l’auraient-ils pas fait emporter avec tous ces linges, non-seulement par le respect qui les aurait empêchés de le mettre à nu, mais encore par l’appréhension d’être trop longtemps à les défaire et de donner lieu aux soldats de se réveiller; et d’autant plus que ce parfum de myrrhe, dont on avait oint le corps mort, s’attache très fortement aux corps et à toutes les choses où on l’applique. Ainsi les apôtres auraient dû être longtemps à défaire ces linges et à les séparer du saint corps. Il est donc de la plus claire évidence que toute cette fable de l’enlèvement du corps n’a pas la moindre ombre de vraisemblance. De plus, les apôtres ne savaient-ils pas jusqu’où allait la fureur des Juifs et qu’après avoir tué leur Maître ils eussent tourné contre eux toute leur rage? Et enfin que pouvaient-ils gagner à cette feinté, si leur Maître n’avait été véritablement ressuscité?
Les Juifs donc qui avaient concerté entre eux toute cette intrigue et cette imposture, donnèrent une grande somme d’argent aux soldats, afin qu’ils ne les démentissent pas: « Publiez», leur disent-ils, « que ses disciples sont venus durant la nuit comme vous dormiez et ont dérobé son corps ».
« Et si le gouverneur vient à le savoir, nous l’apaiserons et nous vous tirerons de peine (44) ». Ils voulaient donc qu’on répandît ce bruit partout, et ils s’imaginaient qu’ils étoufferaient ainsi la vérité de la résurrection de Jésus-Christ. Mais ils l’autorisent au contraire malgré eux, et ils l’affermissent sans le savoir. Car ce faux bruit qu’ils font courir que les disciples du Sauveur sont venus enlever son corps, est ce qui prouve péremptoirement qu’il est véritablement ressuscité, puisqu’ils déclarent eux-mêmes que son corps ne se trouve plus dans le sépulcre. Car la pierre si bien scellée, la présence des gardes et la timidité des apôtres font assez voir que cet enlèvement n’est qu’une fable, et que la résurrection qu’on veut étouffer est très-constante et très-assurée. Cependant ils ne rougissent de rien, et quoique tant de preuves différentes les convainquent d’imposture, ils ne laissent pas de dire à ces gardes : « Publiez partout que ses disciples sont venus durant la nuit lorsque vous dormiez, et qu’ils ont « enlevé son corps; et si le gouverneur vient à le savoir, nous l’apaiserons et nous vous « tirerons de peine ». Ainsi vous voyez que tous ces hommes étaient des imposteurs et des gens sans conscience, Pilate lui-même, (8) puisqu’il se laissa persuader, les soldats et tous les Juifs. Mais il ne faut pas s’étonner que des soldats se soient laissé gagner par de l’argent, puisqu’un des disciples du Sauveur l’a vendu pour un peu d’argent.
« Les soldats ayant reçu l’argent firent ce qu’on leur avait dit; et ce bruit qu’ils firent courir est commun encore aujourd’hui parmi les Juifs (15) ». J’admire encore ici la sincérité des évangélistes qui ne rougissent point de dire cela, et d’avouer que ce faux bruit a prévalu contre toutes leurs prédications et s’est confirmé de plus en plus par la succession des temps parmi les Juifs.
« Or, les onze disciples s’en allèrent en Galilée sur la montagne où Jésus leur avait commandé de se trouver. Et le voyant ils l’adorèrent. Quelques-uns aussi furent dans le doute (16) ». Il me semble que ce fut ici la dernière apparition de Jésus-Christ qui arriva en Galilée, lorsque Jésus-Christ envoya ses apôtres dans tout l’univers pour convertir et pour baptiser les hommes. Et je vous prie encore d’admirer ici la véracité des évangélistes qui ne cachent rien de tous les défauts que les apôtres firent paraître jusqu’au dernier jour. Mais si quelques-uns étaient dans le doute, cette dernière apparition les rassura et les confirma entièrement.
Que leur dit donc Jésus-Christ, lorsqu’il les vit assemblés? « Et Jésus s’approchant leur dit: Toute puissance m’a été donnée dans le ciel et sur la terre (17) ». Il leur parle encore en quelque sorte humainement, parce qu’ils n’avaient pas reçu le Saint-Esprit qui devait élever leurs âmes : « Allez donc et instruisez tous les « peuples, les baptisant au nom du Père, du e Fils, et du Saint-Esprit, et leur apprenant à« observer toutes les choses que je vous ai commandées (18) ». Ce qu’il entend et des maximes de la foi et des règles de la morale. Il ne leur dit pas un seul mot des Juifs, et il ne leur parle point de tout ce que ce peuple venait de faire contre sa personne. Il ne reproche point non plus à saint Pierre son triple renoncement; il ne se plaint point de la fuite et de l’abandonnement des autres. Il leur commande seulement d’aller dans tout le monde, et il leur donne en abrégé toute la doctrine qu’ils doivent prêcher, en baptisant les hommes, en leur disant : « Qu’ils leur apprennent à observer toutes les choses qu’il leur a commandées », et pour rassurer leurs esprits dans la frayeur que ces grands commandements leur pouvaient causer, il ajoute ces paroles: « Et voilà, je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles (19) ». Considérez encore ici, mes frères, la grandeur et la souveraine puissance du Fils de Dieu. Voyez aussi comment, en parlant à ses apôtres, il continue de condescendre à leur faiblesse. Il proteste qu’il sera lui-même toujours non-seulement avec eux, mais encore avec tous ceux qui doivent croire un jour en lui. Les apôtres ne devaient pas vivre jusques à la fin du monde, et c’est visiblement à tous les fidèles qu’il parle, qu’il regarde comme un seul corps. Ne m’objectez donc point, leur dit-il, la difficulté des choses que je vous ordonne, parce que je suis avec vous, et que je vous rendrai tout facile. C’est la parole et la promesse dont il rassurait aussi autrefois ses prophètes, et on voit qu’il dit à Jérémie, qui lui représentait son enfance, à Moïse et à Ezéchiel, qui hésitaient à suivre ses ordres : « Je vous assure que je suis avec vous ».
Mais quelle différence voyons-nous ici entre les apôtres et les prophètes? Les prophètes s’excusent, lorsqu’on ne les envoie prêcher qu’à un seul peuple, et les apôtres, ne font point ces difficultés, lorsqu’on les envoie dans tout l’univers. Il leur parle, et il les fait à dessein souvenir de la fin du monde et « de la « consommation des siècles », afin de les attirer à lui, et de les empêcher de considérer seulement les maux qu’ils souffriraient sur la terre, mais de penser encore aux biens du ciel. Il semble qu’il leur dise par cette parole:
Les maux dont vous serez affligés se termineront dans cette vie, puisque le monde même verra sa fin; mais les biens dont je vous ferai jouir ensuite seront éternels, comme je vous l’ai déjà souvent promis. Ainsi, après les avoir fortifiés et rassurés par cette promesse, et leur avoir rappelé dans l’esprit ce dernier jour, il les quitte et il se retire dans le ciel. Ce jour est sans doute l’objet des voeux de tous les bons, comme il est le sujet de la crainte et de la terreur de tous les méchants, parce qu’ils y entendront l’arrêt éternel et irrévocable de leur condamnation. Mais ne nous contentons pas, mes frères, de regarder ce jour avec frayeur. Préparons-nous-y pendant que nous en avons le temps, en réglant toute notre vie, et en renonçant à tous nos désordres. Nous le pouvons si nous le voulons. Car si tant de personnes l’ont fait avant la grâce du Sauveur et (88) de l’Evangile, combien plus le peut-on faire après un si grand secours?