1.
Hérode ne devait point ainsi entrer en colère. Il devait craindre, s’humilier, et reconnaître la vanité de son entreprise. Mais rien ne l’arrête. Car lorsqu’une âme est une fois devenue impie et désespérément malade, elle rejette tous les remèdes que Dieu lui offre pour la guérir. Considérez donc combien ce prince ajoute à ses premiers crimes , prolonge la chaîne de ses homicides, et se jette de lui-même de précipice en précipice. Sa colère, son envie est comme un démon qui l’agite et qui le transporte, sans que rien puisse l’arrêter.. L’insensé se déclare contre la nature même; et furieux d’avoir été joué par les mages, il tourne sa fureur contre des enfants innocents. II semble qu’il veuille faire dans la Judée, ce que Pharaon fit autrefois dans l’Egypte.
« Hérode envoyant de ses gens,» dit l’Evangile, « fit tuer tout les enfants qui étaient dans Bethléem, et dans tous le pays d’alentour, âgés de deux ans et au-dessous, selon le temps qu’il s’était fait marquer exactement par les mages. » Prêtez-moi ici toute votre attention. Plusieurs parlent bien légèrement de ces enfants, leur sort, à les en croire, accuserait la justice divine. Les plus modérés d’entre eux suspendent seulement leur jugement; mais les autres sont plus hardis et plus emportés. Permettez que nous nous arrêtions un peu sur ce sujet, afin de guérir les uns de leur ignorance et de leur doute, et les autres de leur excès et de leur folie. Si l’on ose accuser Dieu d’avoir laissé tuer ces enfants, qu’on l’accuse donc aussi de la mort du soldat qui gardait saint Pierre. Comme ces petits enfants meurent ici au lieu de l’enfant Jésus, qui se sauve et qu’on voulait perdre; de même lorsque saint Pierre fut délivré par un auge de ses chaînes et de sa prison, le tyran qui ressemblait à celui-ci et de nom et de cruauté, ne l’ayant point trouvé, fit mourir à sa place les soldats qui le gardaient.
Mais à quoi sert cet exemple, me direz-vous? C’est augmenter la difficulté et non pas la résoudre. Je vous le dis aussi à ce dessein, et si je joins une seconde difficulté à la première, c’est afin de répondre en même temps à toutes les deux, Quelle est donc cette réponse; et que (67) pouvons-nous dire de probable sur ce sujet? C’est que ce n’est point l’enfant Jésus qui cause la mort de ces enfants, mais la seule cruauté d’Hérode; comme ce ne fut point saint Pierre qui fit mourir les soldats, mais la brutalité du prince. S’il eût trouvé les portes de la prison brisées, ou les murailles percées, Hérode aurait eu peut-être un juste sujet de condamner la négligence des gardes. Mais puisque tout était dans le même état, les portes toujours fermées, tas soldats encore munis des chaînes dont on les avait liés avec l’Apôtre, il devait conclure, s’il eût pu juger sainement des choses, que ce n’était point là l’ouvrage de la force et de l’artifice des hommes, mais l’effet d’une puissance tout extraordinaire et toute divine. Il devait adorer l’auteur d’un si grand miracle au lieu d’exercer sa cruauté sur les soldats. Dieu, dans l’opération de ce miracle, avait fait ce qu’il fallait, non-seulement pour ne pas exposer les gardes à la mort, mais encore pour amener le prince à la connaissance de la vérité. Si le tyran persista dans son impiété, pourquoi attribuer au sage médecin des âmes, à celui qui est bienfaisant en toutes ses oeuvres, un mal qui n’est arrivé que par le déréglement du malade?
Nous pouvons dire la même chose ici. Pourquoi, ô Hérode, vous mettez-vous en colère, lorsque vous vous croyez trompé par les mages? Ne savez-vous pas que cet enfantement est divin ? N’avez-vous pas assemblé les prêtres et les scribes’? N’ont-ils pas fait voir que le prophète avait jugé par avance de cette affaire, et que longtemps auparavant il avait prophétisé cette naissance? N’avez-vous pas vu cet admirable rapport du présent avec le passé? N’avez-vous pas su qu’une étoile avait conduit les mages? N’avez-vous pas rougi du zèle de ces étrangers ? N’avez-vous pas admiré leur liberté de langage? N’avez-vous pas tremblé à l’oracle du prophète? N’avez-vous pas dû comprendre aisément quelle devait être la suite de tant de merveilles ? Ne jugiez-vous pas de l’avenir par le passé? Pourquoi donc toutes ces choses ne vous faisaient-elles pas conclure en vous-même, que ce n’était point là l’ouvrage de la tromperie des mages, mais de la puissance de Dieu, qui conduisait tout avec une admirable sagesse? Mais quand même les mages se seraient joués de vous, pourquoi vous en prendre à ces enfants, qui ne vous ont fait aucun mal?