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Fort bien, direz-vous, vous montrez parfaitement qu’Hérode était un homme de sang, et que sa cruauté est inexcusable; mais vous n’avez pas résolu l’objection concernant l’injustice du fait. C’était Hérode qui commettait l’injustice, soit, mais pourquoi Dieu la laissait-il commettre?
Que répondrai-je ici, sinon ce que j’ai coutume de vous représenter souvent, et dans l’église et partout ailleurs, et que je vous prie de bien retenir? Car c’est une règle qui doit vous servir pour d’autres semblables difficultés. Voici donc ce que je vous réponds. Il se trouve beaucoup de personnes qui veulent faire du mal aux autres. Mais je soutiens qu’il n’y a point d’homme qui puisse faire un mal véritable à un autre homme. Et pour ne pas vous tenir en suspens, je dis en un mot, que, qui que ce soit d’entre les hommes qui nous offense, Dieu tourne le mal qu’il nous fait à notre avantage, et s’en sert ou pour nous pardonner ou pour augmenter notre récompense. Afin d’éclaircir ce que je dis, je vous en, donne un exemple. Supposons qu’un serviteur soit redevable d’une somme considérable à son maître, que des hommes injustes le maltraitent, qu’on lui ravisse une partie de ce qu’il a; supposons encore que le maître puisse empêcher le vol, commander la restitution, et qu’au lieu d’agir de la sorte, il prenne sur ses comptes pour dédommager son serviteur, pourrait-on dire que : celui-ci a été lésé? pas le moins du monde. Mais si le maître remet au serviteur plus qu’on ne lui a pris, celui-ci n’aura-t-il pas gagné au lieu de perdre. Evidemment si.
Ayons ces pensées dans les maux dont on nous afflige injustement. Soyons certains que les afflictions ou nous obtiendront la rémission de tous nos péchés, ou que si nos péchés ne sont pas en si grand nombre qu’elles, elles nous mériteront une plus riche couronne. Vous en avez la preuve dans ce que dit saint Paul de celui qui était tombé dans la fornication : « Livrez, » dit-il, « cet homme à Satan pour faire mourir sa chair, afin que son âme soit sauvée. » (I Cor. V, 5.) Vous me direz qu’il s’agit ici des maux que nos ennemis nous font souffrir, et non pas des corrections que nos pasteurs nous imposent avec justice. Mais si vous voulez considérer avec soin les uns et les autres, vous n’y trouverez aucune différence. Notre difficulté était de savoir si le mal qu’on souffre est véritablement un mal pour (68) celui qui Je souffre. Mais je puis vous apporter un exemple qui se rapproche davantage de la question qui nous occupe. Souvenez-vous de David insulté dans son malheur par ce Séméi qui faisait pleuvoir sur lui les plus violentes injures; ses soldats voulaient tuer cet insulteur, mais il les retint, et leur dit : « Laissez-le faire, laissez-le maudire. Peut-être que le Seigneur regardera mon affliction, et qu’il me fera quelque grâce pour ces malédictions que j’endure. » (II Rois, XVI, 40.) C’est ce qu’il dit aussi dans ses psaumes : « Voyez combien mes ennemis se sont multipliés, et combien est injuste la haine qu’ils me portent et remettez-moi tous mes péchés. » (Ps. XXIV, 48, 49.) Le Lazare de même entra dans le repos; parce qu’il avait souffert en cette vie une infinité de maux. Ceux donc à qui on veut faire du mal, n’en reçoivent point en effet, s’ils le souffrent avec patience; au contraire ce mal se change pour eux en un grand bien, soit que Dieu les châtie par l’affliction, ou que le démon les persécute.
Mais quels crimes, me direz-vous, ces enfants avaient-ils fait pour qu’ils dussent les expier par une mort si sanglante? Ce que vous dites peut être vrai pour les personnes avancées en âge, et qui ont commis beaucoup de péchés; mais pour ces innocents qui meurent dans le berceau,’ quel péché avaient-ils pu ‘faire, qui dût être lavé de leur sang? — Souvenez-vous que je vous ai dit, iiue si l’injustice qu’on nous fait, ne trouvait point de péchés à punir en nous, elle nous mériterait une grande récompense. Quel mal est-il donc arrivé à ces enfants, lorsque, mourant pour un tel sujet, ils ont passé par une mort si prompte, comme par une courte tempête, au port éternel d’une heureuse paix?
Ils eussent pu, dites-vous, devenir de grands saints , s’ils eussent longtemps vécu. Mais croyez-vous que leur récompense ait été médiocre, pour avoir été tués à la place de Jésus-Christ? Et nous pouvons dire encore que si Dieu eût prévu que ces enfants eussent dû s’élever un jour à un grand mérite, il n’eût pas permis qu’ils eussent été tués dans le berceau. Car s’il tolère avec une patience si infatigable, ceux même qu’il sait devoir toujours demeurer dans le crime, il aurait bien plutôt empêché la mort de ceux-ci, s’il avait prévu qu’ils dussent un jour parvenir à un haut degré de vertu.