8.
En effet, qu'est-ce que Dieu n'a pas fait pour nous? Il a fait le monde corruptible à cause de nous, puis incorruptible encore à cause de nous ; pour nous il a permis que tes prophètes fussent maltraités ; pour nous il les a envoyés en captivité, lassé jeter dans la fournaise, subir des maux sans nombre. Pour nous il a fait les prophètes, pour nous il a fait les apôtres; pour nous il a livré son Fils unique; pour nous il punit le démon ; il nous a fait asseoir à sa droite ; pour nous il a été couvert d'opprobre : car il est écrit : « Les injures de ceux qui vous injuriaient sont retombées sur moi ». (Ps. LXVIII.) Et quand, après tant de bienfaits, nous nous éloignons de lui, il ne nous abandonne pas; il nous rappelle, il nous procure des intercesseurs , afin de pouvoir nous rendre sa grâce : comme on le voit par l'exemple de Moïse, à qui il disait : « Laisse-moi agir et je les détruirai » (Ex. XXXII, 10), afin de l'exciter à prier pour les coupables ; et c'est ce qu'il fait, encore aujourd'hui. C'est pour cela qu'il a accordé le .don de la prière ; non pas qu'il ait besoin de supplications, mais de peur que, une fois sauvés, nous ne retombions dans un état pire: C'est pour cela que souvent il se déclare réconcilié avec les pécheurs à causé de David, à cause d'un tel ou d'un tel, dans l'intention de donner un modèle d'intercession; bien que sa bonté éclaterait davantage s'il déposait sa colère de lui-même et non par l'entremise d'un tel et d'un tel. Mais il ne l'a pas voulu, de peur que ce. mode de réconciliation ne servît de prétexte à notre lâcheté. Voilà pourquoi il disait à Jérémie : « Ne prie point pour ce peuple, car je ne t'exaucerai pas » (Jér. XI, 14) ; non. pour l'empêcher de prier, (il désire vivement notre salut), mais pour les épouvanter : ce que le prophète savait bien, car il ne cessait pas de prier. Et pour preuve que Dieu ne voulait point l'empêcher de prier, mais seulement le faire rougir, écoutez ce qu'il dit : « Ne vois-tu pas ce qu'ils font? » Et s'il dit, en parlant de Jérusalem : « Quand même tu te laverais avec du nitre et amoncellerais l'herbe sur toi, tu es souillée devant mes yeux » (Ib. XI, 22), ce n'est point pour la jeter dans le désespoir , mais pour l'exciter au repentir.
En effet, comme il frappa les Ninivites d'une plus grande épouvante et les amena à la pénitence en lançant contre eux un arrêt qui n'exceptait personne et ne laissait aucune (305) espérance; de même fait-il ici, pour tirer les Juifs de leur sommeil et entourer le prophète d'une plus grande considération, afin qu'ils lui prêtent au moins l'oreille. Mais comme leur maladie était incurable, que tant de désastres éprouvés ne les avaient pas rendus sages, il les engagea d'abord à rester où ils étaient ; ils ne le voulurent point et passèrent en Egypte ; il y consentit, en leur demandant seulement de ne point participer à l'impiété de ce peuple. Ils ne l'écoutèrent point encore ; alors il leur envoya le prophète , pour les sauver d'une ruine totale. Et comme le prophète les appelait en vain, Dieu lui-même les suit pour les corriger, pour les empêcher de descendre plus bas dans la voie du vice, ainsi que fait un père tendre qui conduit et accompagne partout un fils accablé par l'infortune. Pour cela il envoie non-seulement Jérémie en Egypte, mais aussi Ezéchiel à Babylone. Et les deux prophètes ne résistèrent point. Voyant que leur maître aimait tendrement son peuple, ils l'aimaient aussi, pareils à un serviteur reconnaissant qui prend pitié d'un enfant indocile, parce qu'il voit le père affligé et abattu.
Et que n'ont-ils pas souffert pour eux ? On les sciait, on les chassait, on les injuriait, on les lapidait, on leur faisait subir mille mauvais traitements ; et après tout cela, ils revenaient encore. Samüel ne cessa point de pleurer Saül, malgré les graves injures et les tourments insupportables que ce prince lui avait infligés; niais il avait tout oublié. Jérémie a écrit ses lamentations pour le peuple Juif ; et quand le général des Perses lui permettait d'habiter en sécurité et en toute liberté où il lui plairait, il préféra partager l'infortune, de son peuple et supporter les misères de l'exil. Ainsi Moïse quitta le palais et la vie qu'il y menait , pour courir partager le malheur des Hébreux. Ainsi Daniel jeûna vingt-six jours, s'infligeant cette rude abstinence pour apaiser Dieu irrité contre son peuple; et les trois enfants, au milieu de la fournaise embrasée, priaient aussi dans le même but. Ils ne s'affligeaient point pour eux-mêmes, puisqu'ils restaient sains et saufs ; mais comme ils se croyaient là plus en liberté, ils intercédaient pour leur peuple. Aussi disaient-ils : « Puissions-nous être agréés dans un coeur contrit et un esprit d'humilité ». (Dan. III, 39.) Pour eux Josué déchira ses vêtements ; pour eux Ezéchiel pleurait et se lamentait, en les voyant mis en pièces; et Jérémie 1 disait: « Laissez-moi, je pleurerai amèrement ». (Is. XXII, 4.) Et auparavant, n'osant demander pardon de leurs crimes, il demandait quel serait le terme, en s'écriant : « Jusqu'à quand, Seigneur ? » (Id.VI, 11.) Car toute la race des saints est remplie de charité. Voilà pourquoi Paul disait: « Revêtez-vous, comme élus de Dieu, et saints, d'entrailles de miséricorde, de bonté, d'humilité ». (Col. III, 12.)
-
Le texte est d'Isâie. ↩