1.
N'avez-vous pas trouvé magnifique, au-dessus de la nature, ce que je vous ai dit, dans la dernière instruction, sur l'amour de Paul envers le Christ ? C'est en effet quelque chose de grand en soi et qui surpasse toute expression ; et cependant ce qu'il dit aujourd'hui le dépasse encore autant que ce que nous disions hier est au-dessus de nos pensées. Je ne croyais pas qu'on pût rien dire de plus, et néanmoins ce qu'on vient de lire aujourd'hui m'a semblé bien plus éclatant que tout le reste; et l'apôtre, en ayant la conscience, l'a déclaré dès le. début, comme devant aborder un sujet plus élevé et exciter l'incrédulité chez un grand nombre. Il commence donc par attester ce qu'il va dire; c'est l'usage ordinaire de ceux qui ont à communiquer des choses incroyables pour la multitude, et dont ils sont eux-mêmes pleinement convaincus. « Je dis la vérité et je ne mens pas; et ma conscience me rend témoignage, qu'il y a une grande tristesse en moi et une douleur continuelle dans mon coeur. Car je désirais ardemment d'être moi-même anathème à l'égard du Christ ». (1-3.)
Que dites-vous, Paul? Ce Christ que vous aimez, dont ni le ciel, ni l'enfer, ni les choses visibles, ni les choses invisibles, ni tant d'autres choses, ne pourraient vous séparer, vous voudriez être anathème à son égard? Qu'est-il donc arrivé?. Etes-vous changé? Avez-vous perdu cet amour? Non, répond-il , ne craignez rien; je l'ai plutôt augmenté. Comment donc désirez-vous être anathème , et demandez- vous un éloignement, une séparation après laquelle il n'y en a plus de possible? Parce que je l'aime ardemment, dit-il. Comment? de quelle manière? dites-le moi; car cela ressemble fort à une énigme. Mais d'abord, s'il vous plaît, apprenons ce que c'est que l'anathème, puis nous l'interrogerons là-dessus, et nous comprendrons ce mystérieux, ce prodigieux amour.
Qu'est-ce donc que l'anathème? Ecoutons-le dire : « Si quelqu'un n'aime pas le Seigneur (317) Jésus-Christ, qu'il soit anathème ! » (I Cor. XVI, 22), c'est-à-dire qu'il soit séparé de tous, étranger à tous. Car comme personne n'oserait porter la main sur un objet consacré à Dieu, ni même s'en approcher de trop près; ainsi l'apôtre retranchant, repoussant au loin celui qui est séparé de l'Eglise, lui donne ce nom d'anathème par antithèse, et ordonne que chacun s'en écarte et le fuie avec horreur. Personne n'osait, par respect, s'approcher d'un objet consacré ; par un sentiment contraire, tout le monde s'éloignait de celui qui était retranché de l'Eglise. En sorte qu'il n'y avait bien qu'une seule et même séparation pour l'un et l'autre cas, mais le genre n'était pas le même; l'un était le contraire de l'autre. Dans le premier cas, on respectait un objet parce qu'il était consacré â Dieu ; dans le second, on s'éloignait d'un homme séparé de Dieu et retranché de l'Eglise. Voilà donc ce que Paul entend quand il dit : « Je désirais ardemment être anathème à l'égard du Christ ». Il ne dit pas simplement : Je voulais, mais en termes plus énergiques : «Je désirais ardemment ».
Que si vous vous troublez de ces expressions comme trop faibles, considérez la chose en elle-même : Voyez non-seulement ce désir d'être séparé, mais la raison même de ce désir, et vous comprendrez l'excès de cet amour. En effet, il a circoncis Timothée; néanmoins nous ne nous occupons pas de l'acte, mais de son intention et du motif qui l'animait, et nous ne faisons que l'en admirer davantage.
Non-seulement il a circoncis, mais il s'est rasé et il a sacrifié ; pour cela nous ne l'avons certes pas appelé Juif ; c'est par là même, au contraire, que nous avons vu qu'il s'éloignait davantage du Judaïsme, qu'il était sincère et véritable disciple du Christ. Si donc en le voyant circoncire et sacrifier,nous ne le condamnons point comme judaïsant, si nous le glorifions au contraire pour s'être par là même séparé du Judaïsme ; ainsi en le voyant désirer ardemment d'être anathème, ne vous troublez pas, mais exaltez-le davantage quand vous saurez la raison de son désir. Si en effet nous ne remontons pas aux causes, nous appellerons Elie homicide, et Abraham non-seulement homicide, mais homicide de son fils ; nous accuserons Phinéès et Pierre de meurtres ; et ce n'est pas seulement à l'égard des saints, mais à l'égard de Dieu même, qu'on sera entraîné à beaucoup d'absurdités, faute d'observer cette règle. Pour éviter cet inconvénient, dans tous les cas de ce genre, rapprochons d'abord la cause, l'instruction, le temps ét toutes les circonstances propres à justifier l'action, puis examinons la question. Et c'est précisément ce que nous devons faire ici pour cette âme bienheureuse. Quelle est donc la cause ? Jésus lui-même, l'objet aimé. Or, Paul ne dit pas que ce soit pour luit : je désirerais ardemment, dit-il, être anathème pour mes frères. C'est là un effet de son humilité ; il ne veut pas avoir l'air de faire pour le Christ la grande chose qu'il exprime, aussi dit-il : « Qui sont mes proches », afin de dissimuler la grandeur de la chose ; mais, pour vous convaincre que c'est le Christ qu'il a en vue, écoutez la suite. Après avoir dit: « Qui sont mes proches», il ajoute : «Auxquels appartient l'adoption; la gloire, l'alliance, la loi, le culte et les promesses ; dont les pères sont ceux de qui est sorti, selon la chair, le Christ même, qui est au-dessus de toutes choses, Dieu béni dans tous les siècles. Amen (4, 5) ».