6.
Dites-moi en effet, ô Juif! qui avez tant de questions embarrassantes, et n'en pouvez résoudre aucune, comment pouvez-vous nous faire des difficultés à l'occasion de la vocation des Gentils? Cependant je puis vous donner, moi, la raison légitime pour laquelle les Gentils ont été appelés et pour laquelle vous êtes déchus. Quelle est cette raison? Parce qu'ils sont nés de la foi et vous, pour ainsi dire, des oeuvres de la loi. Ces discussions vous trahissent donc de toute manière. « Car ignorant la justice de Dieu, et cherchant à établir leur propre justice, ils ne se sont pas soumis à la justice de Dieu ». (Rom. X, 8.) C'est ainsi, pour tout dire en un mot, que cette âme bienheureuse, donne la solution de tout le passage; et pour le faire mieux voir, examinons chaque point en détail, sans perdre de vue que le but du bienheureux est de démontrer par tout ce qu'il à dit que Dieu seul connaît ceux qui sont dignes; qu'aucun homme n'en est capable, et que celui qui semble le plus éclairé sur ce point se trompe souvent dans ses jugements. Celui qui pénètre lés pensées les plus secrètes, sait parfaitement qui sont ceux qui méritent la couronne et ceux qui sont dignes du châtiment et du supplice. Aussi souvent en a-t-il condamné sur preuves qui passaient pour justes aux yeux des hommes, et en a-t-il couronné qui étaient réputés méchants , après avoir démontré qu'ils ne litaient point; décidant, non d'après l'opinion de ses serviteurs, mais d'après son juste et impartial jugement, et n'attendant point le résultat des oeuvres pour distinguer le méchant et celui qui ne l'est pas: Mais pour ne pas obscurcir la question,, revenons aux paroles de l'apôtre.
« Non-seulement elle, mais aussi Rébecca, « qui eut deux fils à la fois ». Je pourrais, dit-il, parler aussi des fils de Cétura, mais je les passe sous silence; et pour triompher pleinement, je mets en scène deux fils nés d'un même père et d'une même mère. En effet, tous les deux étaient enfants de Rébecca et d'Isaac, le fils légitime, le juste éprouvé, l'homme honoré entre tous, dont Dieu a dit : « C'est en Isaac que sera ta postérité » ; celui qui est devenu le père de nous tous. Or, s'il était notre père, nécessairement ses enfants devaient aussi être nos pères; et cependant ils ne l'ont pas été. Voyez-vous comme le fait n'a pas seulement eu lieu pour Abraham, mais aussi pour son fils, et comment toujours la foi et la vertu éclatent et restent le caractère de la vraie parenté? Par là nous apprenons que les enfants d'Abraham ne portent pas ce nom seulement pour être nés de lui, mais encore parce qu'ils se sont rendus dignes de la vertu de leur père. Si en effet la génération eût suffi, Esaü aurait dû partager le sort de Jacob, car lui aussi, était sorti d'un sein desséché, et sa mère était stérile. Mais une autre condition encore était exigée, la bonne conduite, et ceci n'est pas sans dessein, mais a pour but le règlement de notre vie. L'apôtre ne dit pas : L'un (323) a été préféré, parce qu'il était bon et que l'autre était méchant; autrement on lui aurait aussitôt objecté : Quoi ! les gentils étaient-ils bons et les circoncis ne l'étaient-ils point? C'était la vérité ; cependant il ne le dit point encore, de peur de trop déplaire; mais il rejette tout sur la prescience de Dieu , que l'homme le plus insensé n'oserait contester. « Car », dit-il, « avant qu'ils fussent nés ou qu'ils eussent fait ni aucun bien ni aucun mal, il lui, fut dit : L'aîné servira sous le plus jeune ».
C'était là l'effet de la prescience, de choisir dès la naissance; afin, dit l'apôtre, qu'on vît clairement que l'élection a été faite par décret et par prescience; dès le premier jour, Dieu a su et déclaré que l'un serait bon et que l'autre ne le serait pas. Ne me dites donc point, continue-t-il, que vous avez lu la loi et les prophètes, et que, depuis tant de temps,, vous êtes les serviteurs de Dieu. Celui qui sait éprouver l'âme, sait quel est celui qui mérite d'être sauvé. Laissez donc l'élection à l'Incompréhensible; car lui seul sait récompenser avec justice. Combien, à en juger par les oeuvres apparentes, eussent semblé préférables à Matthieu? Mais celui qui connaît les secrets, qui sait apprécier les dispositions de l'âme, découvrit la perle enfouie dans- la boue; et, laissant là les autres, et admirant la beauté de celui-ci, il le choisit et aidant du secours de sa grâce sa généreuse volonté, il fit voir en, lui un juste éprouvé. En effet si, dans les arts futiles ou en toute autre matière, ceux qui sont capables de juger, ne règlent pas leurs choix sur l'opinion des ignorants, mais d'après leurs propres connaissances, souvent méprisent ce que ceux-là estiment et estiment ce que ceux-là méprisent; comme les dompteurs de chevaux, par exemple, en agissent ainsi avec les chevaux; et aussi les experts en fait de pierres précieuses ou tout autre ouvrier dans ce qui concerne son métier à plus forte raison Dieu, qui est bon, qui est la sagesse infinie, qui seul sait tout parfaitement, ne cédera point à l'opinion des hommes, mais décidera en tout d'après sa propre sagesse, toujours exacte , toujours infaillible. Voilà pourquoi il a choisi un publicain, un larron, une prostituée, et dédaigné et rejeté des prêtres, des anciens et des magistrats.